CINEMA
PLEIN SOLEIL de René Clément : jeunesse dorée à tout prix
L’talie, le soleil, la Dolce Vita. Philippe Greenleaf (Maurice Ronet) et Tom Ripley (Alain Delon) traînent en terrasse. On dirait deux frères ou deux amis de longue date. Apparences trompeuses : ils ne se connaissent que depuis peu de temps même si Tom s’amuse à faire croire qu’il est un ami d’enfance. Le jeune homme a été envoyé par le richissime père de Philippe pour tenter de le ramener à San Francisco. Mais Philippe ne semble pas vraiment prêt à plier bagage : il aime l’idée de vacances pour la vie, il veut rester auprès de sa petite amie Marge (Marie Laforêt) avec laquelle les choses deviennent sérieuses. C’est un problème pour Tom qui ,s’il échoue dans sa mission, ne recevra pas le chèque de 5000 dollars qu’on lui a promis.
Petit à petit, la situation s’envenime. Philippe fait des infidélités à Marge, cette dernière n’apprécie pas la présence de Tom qui semble faire ressortir les penchants sadiques de son amoureux et Tom commence à comprendre que Philippe, malgré sa promesse de le suivre à San Francisco, est en train de le manipuler, de jouer avec lui en même temps qu’il l’humilie à l’occasion. Lors d’un voyage en bateau, la tension monte. Philippe réalise que Tom est prêt à tout pour l’argent et qu’il n’écarte pas la possibilité de l’assassiner pour usurper son identité. Egalement présente à bord, Marge ne comprend plus le lien qui unit les deux hommes et ,suite à une énième querelle avec son amant oisif, quitte le voyage, furieuse. Philippe et Tom sont donc seuls sur un bateau. Celui qui restera sera Tom, tuant d’un coup de poignard son faux ami. Dès lors, il va mettre en place un plan machiavélique pour prendre l’identité de Philippe. Si l’affaire semble marcher, elle inclut de nombreuses prises de risque et mensonges qui vont entrainer le jeune homme aux dents longues dans une spirale infernale…
Film culte de René Clément, adapté de l’œuvre de Patricia Highsmith (adaptation plus libre que celle américaine de la fin des années 90, Le talentueux Mr Ripley avec Jude Law et Matt Damon), Plein Soleil dispose d’une atmosphère étrange, nous plonge au cœur d’un thriller en plein jour, où la beauté et le luxe de l’Italie, l’argent facile, sont autant de mirages. C’est une œuvre passionnante sur l’identité et le double jeu. Philippe et Tom se ressemblent mais ne sont pas du même milieu social. Beau et rusé, Tom n’a pas la classe des gens de la haute, la bonne éducation. Il semble las d’être écarté de ce monde de faste établi comme trop bien pour lui. Revanche. D’abord venu chercher Philippe dans l’espoir de toucher un chèque de 5 000 dollars, Tom revoit ses ambitions à la hausse en même temps qu’il développe une relation d’amitié/fascination/haine pour sa « cible ». Une des scènes les plus fortes du film est celle du miroir, teintée d’homo érotisme, où Tom imite Philippe, enivré, habillé avec les vêtements de ce dernier, prenant sa voix, embrassant son reflet. Ce sera le seul signe d’ambiguïté sexuelle, l’indice laissant penser que dans le fond Tom cache un désir pour cet homme qui n’a de cesse de le rabaisser.
Tom et Philippe sont des hommes tordus. Le premier est prêt à tout pour mener « la belle vie », même au meurtre. Le second , saisissant le danger et la mort qui rode, ne fait rien pour reprendre la situation en main. Persuadé qu’il est plus malin, presque intouchable, il s’amuse des projets morbides de Tom, développant encore plus son animosité.
L’un comme l’autre jouent aussi à un double jeu. Tom est loin d’être le garçon modeste et gentil pour lequel il veut se faire passer. Il va prendre un certain plaisir à devenir un autre, jusque dans les moindres détails, flirtant avec la folie.
Avant sa mort, Philippe montrera aussi qu’il n’est pas celui qu’on croit, jouant les grands amoureux auprès de Marge alors qu’à la première occasion il emballe de jolies inconnues. Finalement les deux hommes sont des traitres, ne font rien de leur vie, sauf que l’un à une rente et que l’autre non. Marge fait figure d’exception, restera toujours fidèle à son amour pour Philippe. Malgré toutes les crises et les trahisons, elle l’attendra jusqu’au bout.
Trouble identitaire, lutte des classes, relations malsaines : Plein Soleil vire au film parano et tendu, avec brio. René Clément ne cesse de sublimer Alain Delon, qu’il filme beaucoup en gros plan, révélant son regard océan aussi romantique, ravageur, que perdu. Il est possible qu’il n’ait jamais été aussi beau à l’écran. Le soleil tape fort, crame les corps à l’occasion. Les rêves de jeunesse dorée conduisent aux pires actions et à force de poursuivre un rêve futile, le personnage principal ne devient plus que l’ombre d’un autre et de lui-même.
N’ayant pas pris une ride, Plein Soleil est un long-métrage parfaitement orchestré, plein de suspense, riche en tensions et malaise. Masterpiece.
Film sorti en 1960 et disponible en DVD