CINEMA
QUE LE DIABLE NOUS EMPORTE : le nouveau film inclassable de Brisseau
Raillé par les uns, acclamé par les autres, Jean-Claude Brisseau ne laisse jamais indifférent. Ici, on aime son cinéma devenu fauché avec le temps, souvent maladroit et « what the fuck », charnel, intellectuel et naïf en même temps. Un cinéma libre, affranchi, qui ne ressemble qu’à lui-même. On retrouve tout ça dans « Que le diable nous emporte » servi par un trio d’actrices démentes. La bande-annonce pouvait laisser présager d’un immense nanar et au final on ressort assez touché de la salle de cinéma. C’est là la magie des longs-métrages de Brisseau : ils se vivent et se ressentent, ils demandent au spectateur de s’abandonner, de passer outre un jeu atypique pouvant paraître trop récité, de scènes de sexe étirées pour accéder à une autre forme de naturel et de vérité.
Nous suivons Camille (géniale Fabienne Babe), la quarantaine, qui trouve un téléphone abandonné dans une gare. Ca sonne. Elle décroche. C’est Suzy (Isabelle Prin), la propriétaire de l’objet qui cherche à le récupérer alors qu’elle est déjà dans un train. Elles conviennent d’un rendez-vous à Paris dans la journée, chez Camille. Le téléphone est déverrouillé et Camille se laisse intriguer par des messages qui arrivent d’un amoureux éconduit et obsessionnel, Fabrice (Fabrice Deville), ainsi que des videos sexuelles où Suzy se filme avec ses partenaires.
Les deux femmes se rencontrent plus tard comme convenu et s’attirent instantanément. Camille est charmée par la jeunesse et l’insouciance de Suzy et cette dernière envie la première qui retranscrit à travers son art de façon poétique la sexualité. Elles sont surprises en plein acte par Clara (Anna Sigalevitch), la compagne de Camille qui n’est pas du tout jalouse et se joint à elles pour un trio. Mais le plaisir charnel et la légèreté sont contrebalancées rapidement par l’arrivée brutale dans l’immeuble de Fabrice qui veut absolument parler à Suzy. Ivre mort, violent, il reste à la porte. Solidarité féminine de rigueur : Camille et Clara proposent à Suzy de loger dans l’appartement du dessus dans lequel vit l’énigmatique Tonton (Jean-Christophe Bouvet), un vieux sage un poil fantomatique épris de yoga.
La rencontre des trois femmes va permettre à chacune de changer de vie et d’aller de l’avant. Derrière son apparence sereine, Camille est très fragile et dépend depuis de longs mois de Clara, financièrement comme émotionnellement. Elle cache des traumatismes familiaux et personnels lourds qu’elle va peu à peu exorciser. Généreuse, tombant amoureuse de personnes faibles qu’elle s’acharne à remonter vers le haut, Clara décide d’aider Fabrice à se détacher de Suzy en lui offrant son corps et son amour. Paumée, mentant aux autres et à elle-même, Suzy va apprendre au contact de « Tonton » à voir plus loin que son triste nombril.
L’ensemble fonctionne comme une sorte de fable et déploie une déclaration d’amour aux femmes. Elles sont désirées, sublimées, belles dans leur vulnérabilité, leur lucidité et leur courage. Leur sexualité est libre, fluide, la notion de couple bourgeois semble avoir été éradiquée du paysage dans cet univers. On passe d’un corps à l’autre sans trop se poser de questions et c’est rafraichissant. En filmant trois personnages féminins d’âges différents, Brisseau capture avec une sensibilité inespérée le portrait de trois générations distinctes mais complémentaires avec des rapports éclectiques aux hommes, à la chair et à la vie en général.
On navigue avec délice dans ce chassé croisé qui ne manque pas de drôlerie et qui respire l’amour des autres au-delà du vice et des horreurs qui peuvent exister en tout temps dans ce monde. Parler, sortir ce que l’on a à l’intérieur, chasser le mauvais pour avancer sans sur-analyser : c’est ce que font les héroïne au coeur de cette ronde un peu perchée, entre deux délires métaphysiques et autres triolismes lesbiens kitschs au coeur des étoiles.
Quand on entre dedans et qu’on accepte sa forme cheap mais non dénuée de mise en scène (bien au contraire), qu’on accueille les dialogues dans leur pureté et leur sincérité, ce film ressemble bien à une petite pépite, une mini leçon de vie, qui invite à faire face à ce(ux) qui nous entoure avec malice et ouverture. Le feel good movie en mode Brisseau, c’est quelque chose !
Film sorti le 10 janvier 2018
Le crush du film
Comme souvent chez le réalisateur, les femmes prennent beaucoup de place mais les hommes ne font pas de la figuration. On retrouve avec beaucoup de plaisir Fabrice Deville qui nous avait fait fantasmer à travers son personnage génial dans « Choses secrètes » du même Brisseau.
Il a pris un petit ventre au passage mais il le porte plutôt bien et son personnage un peu pataud est attachant.