FICTIONS LGBT
RESPIRE de Mélanie Laurent : liens toxiques
Charlie (Joséphine Japy) est une adolescente ordinaire, discrète, qui vit sa dernière année au lycée. Elle n’en parle pas à ses amis mais ,chez elle, elle étouffe : ses parents passent leur temps à s’engueuler, sa mère (Isabelle Carré) est toujours sur le fil, se laissant malmener par celui qu’elle ne parvient jamais à quitter malgré son comportement agressif.
Le quotidien de la jeune fille bascule quand débarque une nouvelle dans sa classe : Sarah (Lou de Laâge). Elle est belle, cool, a toujours des histoires à raconter… Attirée, fascinée, Charlie délaisse peu à peu tous ses autres amis pour entamer avec cette inconnue une relation amicale fusionnelle. De l’amitié passion qui amènent les deux adolescents à passer tout leur temps ensemble.
Alors qu’elle l’invite à partir en vacances avec elle et sa mère, Charlie va toutefois avoir l’occasion de découvrir une facette plus sombre de la personnalité de sa nouvelle meilleure amie. Quand elle ne s’impose pas comme le centre de l’attention, quand elle ne contrôle pas tout ou se sent blessée / menacée, Sarah se révèle imprévisible voire cruelle.
Les premiers malentendus laissent place au doute : Charlie peut-elle se fier à cette fille ? Qui est-elle vraiment ? Alors que les semaines passent, les deux copines s’éloignent, s’opposent, transformant le quotidien de Charlie en un cauchemar éveillé dont elle peine à émerger…
Adaptation du roman éponyme d’Anne-Sophie Brasme, Respire est la deuxième réalisation de Mélanie Laurent qui affirme ici davantage son regard, sa mise en scène, après le prometteur Les adoptés. Sensoriel, doté d’une véritable tension, le film dresse le portrait de différents personnages prisonniers de leurs sentiments, d’une dépendance à des personnes pouvant être désignées comme des « pervers narcissiques ».
Rapidement, un parallèle s’établit entre Charlie et sa mère. Tout comme cette dernière ne peut renoncer à sa relation toxique avec son époux qui lui fait du mal, la brise, pour mieux revenir plus tard, l’adolescente se laisse séduire puis blesser par la charismatique et énigmatique Sarah. Une rencontre amicale ambiguë, une sorte de coup de foudre étrange et réciproque. La légèreté et l’ivresse des premiers moments finissent par laisser place à un affrontement sournois. Même si Sarah la déçoit, Charlie est « accro », n’arrive plus à se défaire d’elle, est obsédée. Elle a touché quelque chose en elle, lui a pris quelque chose qu’elle ne lui rendra jamais.
Ce qui est déjà très fort dans ce second long-métrage c’est la capacité de Mélanie Laurent de matérialiser l’intensité de la relation entre ces deux filles sans jamais en rompre le mystère. Leur lien est entre l’amour et l’amitié, une force indescriptible, noire, et ensorcelante. Chacune à ses propres zones d’ombre qu’elle se garde bien de dévoiler aux autres. Si Sarah se révèle particulièrement perverse et qu’elle peut se muer en un bourreau impitoyable, Charlie ne sait pas s’arrêter, se laisse d’une façon presque morbide dériver, humilier. Le jeu vénéneux et pervers que Sarah impose ne pourrait continuer inlassablement si sa victime décidait d’y mettre un terme. Plutôt que de réagir, de se rebeller, Charlie se mure dans le silence, intériorise, quitte à en perdre son souffle, à flirter avec la folie.
Actrice, Mélanie Laurent prête une importance toute particulière à l’interprétation. Tous les comédiens sont formidables, mis en valeur, et Joséphine Japy, Lou de Laâge et Isabelle Carré en particulier composent subtilement des personnages nuancés, entre vulnérabilité touchante et désordre psychologique. Visuellement abouti, privilégiant la pulsion, essayant et parvenant à générer quelque chose d’assez physique chez le spectateur, Respire évite également les nombreux pièges dans lesquels il pouvait facilement tomber. On a plusieurs fois peur que l’ensemble vire vers quelque chose de trop psychologisant, presque scolaire ou cliché. Mais à chaque fois qu’une scène peut sembler sur le fil, à deux doigts de se casser la gueule, un très beau plan, un regard, une réplique, font que cela déjoue les attentes et que cela fonctionne. De quoi rendre l’ensemble sacrément maîtrisé, à la fois rigoureux et très à fleur de peau, risqué dans sa façon d’explorer en profondeur, presque sans filet, la détresse affective de ses différents protagonistes tour à tour bourreaux ou victimes.
La deuxième partie aurait pu donner lieu à un thriller bitchy, un plaisir coupable, mais le scénario ne déçoit pas, tient la route. On reste dans quelque chose de très premier degré, de sérieux, de viscéral. Mélanie Laurent maintient le trouble, explore avec intelligence et sensibilité des zones hyper sensibles sur lesquelles il est souvent difficile de poser des mots. Jusqu’à un dernier plan qui fait froid dans le dos, cette deuxième proposition ne manque ni de personnalité ni de talent. Bref, une belle réussite portée par un vrai regard de cinéaste (n’en déplaise aux éternels détracteurs).
Film sorti en 2014 et disponible en VOD