SERGENT MAJOR EISMAYER de David Wagner : la force de l’amour 

By Gaspard Granaud | 9 décembre 2023

Coup de coeur du public au Festival Chéries Chéris 2023 arrivant au cinéma ce 13 décembre, Sergent Major Eismayer pourrait bien finir par devenir une romance gay de référence. Le film du réalisateur David Wagner prend place au sein de l’univers militaire, en retranscrit les rituels et la dureté, mais cette fois ne vous attendez pas à ressortir de la salle plombé. Un film plein d’humanité, qui fait du bien et dont on ressort ému et avec le sourire. 

Autriche. A la caserne militaire, toutes les jeunes recrues redoutent le Sergent Major Eismayer (Gerhard Liebmann), un homme réputé pour être extrêmement colérique, impitoyable, voire franchement sadique. A cheval sur les règles, convaincu que c’est à la dure qu’on forme les meilleurs, cet homme froid et énigmatique se fait en effet un malin plaisir de jouer avec les nerfs et rabaisser les soldats qui l’entourent quand ils ne filent pas droit. 

Une nouvelle promotion fait son arrivée pour être formée et en son sein émerge rapidement Mario Falak (Luka Dimic). Beau, d’origine étrangère, il témoigne d’un caractère bien trempé et ne se laisse pas intimider par Eismayer. Les punitions ne lui font pas peur, il est déterminé à servir l’armée, c’est son rêve . Et son insolence n’a d’égale que sa motivation. 

Un soir, lors d’un week end à un camp d’entraînement hors de la base militaire, Eismayer intervient alors que Falak se dispute violemment avec un camarade. Falak vient de révéler qu’il est gay en invitant de façon provocante son camarade sous la douche. Il ne compte pas renier qui il est et assume complètement. Son côté coriace impressionne (en silence) Eismayer et pour cause : marié, père d’un petit garçon, il est lui-même homosexuel mais dans le placard. 

Les semaines défilent et petit à petit l’univers du Sergent vole en éclats. Ses méthodes ne plaisent pas du tout au nouveau capitaine progressiste qui l’a dans le collimateur et cherche par tous les moyens à le rétrograder, sa femme sature de le voir rentrer tard, le soupçonne d’avoir une liaison et le quitte, et enfin sa santé ne semble pas au beau fixe. 

Se sentant vulnérable et dans le doute pour la première fois depuis longtemps, développant et intériorisant son désir grandissant pour le jeune Falak, le Sergent va finir par lui montrer ouvertement qu’il est attiré par lui. Dès lors, beaucoup de choses vont changer… 

La première partie du métrage nous plonge en immersion en plein entraînement militaire, jouant sur le rapport de force entre Eismayer et ses jeunes recrues qu’il prend un malin plaisir à malmener. Définitivement peau de vache au travail, l’homme n’apparait pas détestable pour autant : le film prend le temps de le montrer hors du travail où il est un homme simple et un père aimant. En parallèle se tisse le portrait de Falak, qui malgré sa jeunesse ne semble avoir peur de rien… ou presque. Le lendemain après avoir fait son coming out, celui qui se rêve depuis le plus jeune âge en soldat se retrouve tétanisé par sa peur de l’eau (il ne sait pas nager) lors d’une épreuve qui va mal tourner et qui va littéralement pousser lui et Eismayer à « se jeter à l’eau ». 

Par petites touches, on comprend qu’Eismayer n’est pas forcément l’horrible monstre dont parle les recrues. Il surjoue ce personnage et involontairement laisse plusieurs fois s’échapper de l’empathie et de la tendresse, ce que ressent bien Falak qui contrairement à ses camarades respecte voire admire cet homme bourru. 

La deuxième partie du film ne manque pas de surprendre : alors qu’Eismayer et Falak se rapprochent, on s’attend à un nouveau drame en milieu militaire où l’homosexualité ne peut être vécue tranquillement. Et c’est là que le réalisateur David Wagner signe une petite révolution dans l’Histoire du cinéma à thématique gay et du sous-genre du film militaire gay. Jamais Falak ne cache son homosexualité et n’en a honte, au contraire : on le voit se battre pour s’affirmer, se faire respecter et trouver sa place auprès de ses camarades. Et son courage va au final apprendre bien des choses à  Eismayer, son aîné en terme d’âge mais au final plus lâche et peureux, moins combatif qu’il n’en a l’air quand on en arrive aux sentiments. Dans la vie comme dans l’intimité, le lien inattendu entre ces deux hommes de générations différentes ne sera pas du tout basé sur le rapport de force mais sur un amour fluide qui va s’avérer plus fort que tout et porter Eismayer comme jamais il ne l’aurait imaginé. 

Jusqu’à un final euphorisant qui fait tellement de bien que nos yeux se mouillent, Eismayer déjoue les prédictions et se révèle être un long-métrage plein d’humanité et d’espoir. Et si les mauvaises langues pourraient dire que la vision romantique de la relation entre Eismayer et Falak est utopiste, on peut facilement leur clouer le bec car il s’avère que le film est adapté d’une histoire vraie ! Ces deux personnages ont bien existé et cela rend le propos encore plus fort et attachant. 

On n’est pas prêt d’oublier comment Falak met au service de son amour et de ses convictions toute sa force. Et comment Eismayer qui se cache derrière sa propre force passe petit à petit à une forme de douceur très attendrissante. 

Très bien réalisé (le réalisateur nous plonge en immersion dans cet environnement à part – qu’il croque avec une certaine tendresse – et réalise de très beaux plans tout en jouant délicatement avec le fétichisme qui peut aller avec l’univers militaire), servi notamment par deux acteurs géniaux qui rendent leurs personnages très attachants, riche en émotion, Sergent Major Eismayer est autant une belle romance qu’une véritable leçon de vie et de courage. A voir ! 

Sortie au cinéma dès le 13 décembre, après une présentation remarquée au Festival Chéries Chéris 2023