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SEULE LA JOIE, film de Henrika Kull : amour et doutes

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Dans Seule la joie (Glück pour le titre original), la réalisatrice Henrika Kull raconte l’histoire d’amour naissante et contrariée de deux femmes travailleuses du sexe. Une tranche de vie au féminin, filmée de façon documentée et naturaliste. 

Allemagne. Sascha (Katharina Behrens) est travailleuse du sexe, l’assume et mène son quotidien quasiment comme tout le monde. Employée par une maison close dans laquelle elle effectue ses passes, elle effectue son travail de façon encadrée, réglementée. Et elle le fait avec le sourire. Avec les autres filles qui travaillent dans la maison règne une certaine sororité et solidarité. 

Un jour, une nouvelle recrue fait son apparition : Maria (Adam Hoya). Plus jeune que Sasha, queer, se revendiquant performeuse et poétesse à ses heures perdues, elle détonne par rapport aux autres mais ne fait pas de vagues pour autant. Rapidement attirée par cette fille très différente d’elle, Sascha se débrouille pour récupérer son numéro. Elles se voient en dehors des heures de travail et commencent une passion amoureuse et charnelle.

Surgissent progressivement des interrogations : sont-elles, l’une comme l’autre, prêtes pour une véritable relation ? Peuvent-elles s’autoriser à aimer compte tenu de leur profession ? Les actes et fantômes du passé vont possiblement se mettre en travers de leur chemin… 

seule la joie film

Le regard de la cinéaste Henrika Kull est indéniablement très bienveillant vis à vis de ses personnages et de l’univers des travailleur.se.s du sexe. Pas de sensationnalisme ici, pas de glauque ni de grands drames. Le parti pris, qui pourra en étonner certains, est de montrer que la vie dans les maisons closes peut s’apparenter à celle dans n’importe quelle petite entreprise. Il y a des horaires, des règles, des tarifs. Sauf qu’évidemment marchander son corps pour gagner sa vie n’est pas tout à fait anodin. 

L’intrigue ne cherche pas à expliquer ou justifier quoi que ce soit : Sascha comme Maria gagnent leur vie en monnayant leurs charmes, c’est comme ça et puis c’est tout. Ca a le mérite de trancher avec ce que l’on voit habituellement et d’éviter tout misérabilisme. Mine de rien il n’est pas si fréquent de voir à l’écran des personnages de travailleuses du sexe indépendantes, fortes, la tête haute, et ça fait du bien de voir que cette version-là existe aussi. Ce point de vue à contre-courant (et finement documenté, la réalisatrice ayant collaboré avec une maison close pour son tournage) n’est pas édulcoré pour autant : on sent bien par moments qu’il y a des difficultés, toute la force et la tolérance qu’il faut, que notamment quand on a des sentiments en dehors du travail, effectuer les passes peut être difficile.

Très subtil dans son traitement, jouant sur les impressions, les regards et les non-dits, Seule la joie est avant toute chose le récit d’un amour naissant entre deux femmes qui se posent la question de savoir si elles sont encore prêtes à aimer ou si elles seraient mieux seules. 

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En apparence plus affirmée et charismatique, Sascha refoule une certaine vulnérabilité et un tempérament addictif et passionnel (ainsi qu’une légère tendance à l’autodestruction). Elle rend visite régulièrement à son enfant qu’elle ne peut pas élever elle-même. Le travail du sexe semble forger son quotidien depuis un moment. Pour Maria, plus jeune, sauvage, cérébrale et impulsive, les passes semblent être une façon de gagner sa vie au jour le jour… et la suite elle verra plus tard.

L’amour entre ces deux femmes opposées va faire émerger la lumière de la joie comme les ténèbres des doutes, entre exaltation et mélancolie. Intime et intimiste, une oeuvre au féminin loin des clichés, avec un regard singulier, portée par deux comédiennes très juste (Katharina Behrens crève particulièrement l’écran).

Date de sortie en salles françaises : dès le 2 novembre 2022 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3