CINEMA
SIMON KILLER de Antonio Campos : regards dangereux
Suite à une rupture douloureuse avec celle qui était sa petite amie pendant cinq ans, Simon (Brady Corbet) quitte pour quelques jours les Etats-Unis afin de tenter de se changer les idées à Paris. Une sorte de cousin éloigné lui propose de rester dans son appartement alors qu’il part lui-même en voyage.
Affaibli, dans un état proche de la dépression, Simon ère dans les rues de la capitale, visite des musées, les écouteurs de son baladeur toujours dans les oreilles. Il aimerait se trouver des amis, rencontrer une fille, mais la chance ne lui sourit guère. Alors qu’il tente de sympathiser avec deux jeunes filles (dont l’une, Lila, est interprétée par Constance Rousseau), elles l’évitent poliment.
Rongé par la solitude, encore obsédé par son ex qui ne veut plus entendre parler de lui, Simon se laisse abattre, soulage ses ardeurs en se masturbant devant des shows webcam. Un soir, il se fait accoster par un rabatteur qui l’entraîne dans un club de strip où les filles se prostituent. C’est là qu’il rencontre Victoria (Mati Diop). La jeune femme est attendrie par son côté paumé. Elle lui fait un prix pour sa passe et lui donne son numéro au cas où il désirerait s’octroyer ses services à l’extérieur.
Alors que son séjour à Paris s’achève, Simon n’a aucune envie de rentrer. Il provoque une bagarre et vient demander de l’aide à Victoria, qui le recueille contre toute attente chez elle. Ils entament une histoire d’amour. Mais la complicité est rapidement contaminée par la noirceur qui habite Simon. Ce dernier révèle peu à peu son côté instable et violent…
Après le discutable Afterschool, Antonio Campos a signé ce deuxième long-métrage nettement plus personnel et étonnant. S’il n’est clairement pas tous publics en raison du côté extrêmement tordu de son personnage principal, ce long-métrage qui nous plonge dans un Paris vénéneux à souhait étonne et séduit aussi bien par sa mise en scène maîtrisée et hypnotique, par l’interprétation intense de Brady Corbet, que par son fond, subtilement plus dense qu’il n’y paraît. La première partie ressemble au portrait pop et désespéré d’un jeune homme au cœur brisé. Après une rupture, un voyage dans une ville inconnue semble être la meilleure des alternatives pour oublier l’être aimé et s’oublier soi-même. Mais Simon a bien du mal à se changer les idées et les chansons qui défilent dans son baladeur indiquent qu’il est encore totalement obsédé par son ex.
A deux reprises, le personnage précise qu’il vient de finir ses études en neurosciences, pour lesquelles il s’était focalisé sur les relations entre les yeux et le cerveau. Le regard sur les autres et sur les choses est au cœur du métrage. On voit Simon au Louvre où les gens observent les œuvres à travers leur téléphone portable (prendre une photo, posséder le moment, est devenu plus important que de le vivre), on assiste à une masturbation nocturne où il s’émoustille avec une fille qui lui fait un show webcam, il tente de communiquer avec son ex via quelques mails, laisse deviner son mal être à sa mère au détour d’une conversation vidéo Skype… Pour ce qui est du réel, le stress et l’antipathie des parisiens empoisonnent le quotidien. Ou comment changer à l’écran la capitale de l’amour en capitale de la solitude.
Le portrait sombre et hypersensible d’un amoureux éconduit se mue en quelque chose de plus étrange alors que les scènes se succèdent. La rencontre de Simon avec une jeune prostituée, Victoria, chamboule l’intrigue. Au premier regard, on imagine qu’elle va abuser de ses charmes pour embobiner l’américain naïf et paumé. Mais peu à peu se révèle une jeune femme qui a souffert et qui espère avoir droit à une seconde chance, un nouvel amour. Dans Simon Killer, les apparences sont trompeuses et les gens sont souvent l’inverse de ce que l’on perçoit d’eux à première vue. Un amateur de prostitué friqué et objet de chantage se révèle être un flic dangereux, les filles de joie qui simulent se révèlent être les plus honnêtes, les jeunes amoureux éconduits à l’apparence lisse cachent une noirceur des plus menaçantes.
Si les à priori faussent souvent notre façon d’appréhender les personnes qui se présentent à nous, c’est sans aucun doute l’amour et le désir qui aveuglent le plus. Chaque être aimé peut alors devenir un piège ou une proie. Peu à peu, Simon, auquel on avait pu beaucoup s’attacher et s’identifier, se révèle être un bourreau, s’abandonnant à des pulsions destructrices et violentes. Son passé s’éclaircit et ses actes à venir deviennent imprévisibles. Tous les protagonistes apparaissent comme victimes de leur regard (à l’exception peut-être du personnage de Lila, étudiante en littérature, qui reste raisonnable malgré la tentation), de la façon déformée qu’ils ont de percevoir ceux qu’ils aiment ou eux-mêmes.
Antonio Campos livre ici une œuvre atmosphérique, étouffante, échappant aux cases préconçues, pas facile à définir. Simon Killer est à l’image de son personnage titre : intrigant, mystérieux, parfois romantique, parfois redoutable, à vif ou d’une froideur et d’une cruauté qui fond froid dans le dos. Le cinéma indépendant à son meilleur.
Film produit en 2012 et disponible en Import DVD