FICTIONS LGBT
SUPER 8 1/2 de Bruce LaBruce : marge trash
Bruce (Bruce LaBruce) est une ancienne star du x, acteur et réalisateur, qui a tenté avec plus ou moins de succès de se reconvertir dans un cinéma d’auteur underground. Désormais légèrement has been, passant ses journées à picoler et à se laisser sombrer devant l’oeil plus ou moins attentif de son boyfriend Pierce (Klaus Von Brücker), il croit en la possibilité d’un comeback alors qu’une réalisatrice d’avant-garde, Googie (Stacy Friedrich), s’intéresse à sa personnalité hors-norme. Entre screen tests et documentaire, Bruce partage ses états d’âmes devant la caméra, élaborant une sorte d’auto-portrait. Des extraits de ses films emblématiques (mêlant icônes trash et scènes x) ponctuent le récit alors que Googie parcourt les rues, toujours à l’affût de nouveaux sujets à filmer. Elle propulse ainsi sur le devant de la scène les Friday Sisters, deux strip-teaseuses sans limites qui deviennent les héroïnes de films barrés et cultes. A travers Bruce et toutes les icônes de Googie, c’est le portrait d’une génération fucked up qui est dévoilé. Génération en roue libre qui s’illustre dans toutes sortes d’excès. Génération sans tabou mais fragile, exploitée, utilisée et oubliée…
Avec son titre en clin d’oeil à une célèbre oeuvre de Fellini (mais faisant aussi référence à bien d’autres choses progressivement dévoilées au fil du film) , Bruce La Bruce joue le provocateur de service et délivre une oeuvre inclassable, complètement barrée et foutraque. Il faut s’accrocher à ce long-métrage qui ne cherche jamais à se faire aimer et qui ne se refuse aucun délire. Le personnage central est celui de Bruce, campé par Bruce LaBruce lui-même (façon de semer la confusion chez les amateurs du cinéaste qui campe ici un personnage à la fois très proche et loin de lui), sorte de pâle copie d’Andy Warhol (le poster de l’artiste est au centre de sa chambre). Que reste-t-il de l’esprit de la Factory et de ses muses déglinguées ? Peut-on encore être underground au coeur des années 90, loin de la frénésie et de la libération des 70’s ? A la fois sympathique et franchement pathétique, Bruce n’est plus que l’ombre de lui-même, tentant un retour qui apparaît de plus en plus impossible.
Si Bruce LaBruce est devenu un réalisateur culte, ce n’est pas pour rien. Il est l’un des rares cinéastes à ne se poser aucune limite, à dire fuck à toutes les normes et à tout oser. Dans la peau de Bruce, il n’hésite ainsi pas à se mettre en scène dans des fragments pornos durant lesquels il gratifie ses partenaires de fellations, agrémentées de regards face caméra. Provoc constante, second degré omniprésent et à la surprise générale une véritable sensibilité, un regard à la fois tendre et amusé sur des marginaux paradoxalement libres et cloisonnés. Personnalités et artistes impulsifs s’embarquant dans des projets cheap et no limit, les personnages se voient malgré eux enfermés dans des cases, deviennent l’objet d’interprétations douteuses et sont instrumentalisés par la presse.
Super 8 1/2 mêle habilement divertissement trash (les extraits de films de Bruce et Googie sont souvent hilarants comme ce « Submit to my finger » où les Friday Sisters, duo lesbien, maltraitent un jeune homme en le dépucelant du derrière à l’aide d’un révolver et d’un gode-ceinture) et réflexion sur l’art, le statut d’icône (Bruce passe son temps à regarder un film avec Elisabeth Taylor, star ultime, mythe ayant succombé à une forte déchéance physique).Egalement en toile de fond, la romance déchue entre Bruce et Pierce. Histoire d’amour inexplicable s’apparentant à un long lendemain de cuite.
Sensations et émotions contradictoires, beauté et décadence, maitrîse et dérive : Super 8 1/2 est une oeuvre singulière, indomptable et fascinante. A découvrir.
Film produit en 1994 / Disponible en import DVD