TENUE DE SOIRÉE de Bertrand Blier : misère et cauchemar

C’est l’un des plus gros succès en salles de Bertrand Blier. Tenue de soirée avait attiré plusieurs millions de spectateurs au cinéma lors de sa sortie. Une prouesse tant ce long-métrage est à la fois fou et sombre.

Un soir dans une salle des fêtes. Antoine (Michel Blanc) est une fois de plus humilié en public par sa femme Monique (Miou-Miou) qui lui crie dessus et le rabaisse. Elle n’en peut plus de leur vie misérable, confinés dans un camping car, sans le sou. Surgit de nulle part Bob (Gérard Depardieu) qui se permet de remettre à sa place Monique et de la gifler !

La brusquerie de cet inconnu n’est pas vraiment pour plaire à Antoine qui se braque. Mais Bob balance des billets à la pelle à celui qu’il dit vouloir comme ami. Selon lui, l’argent est facile à trouver et il n’y a qu’à se servir. Il entraîne le couple marié le temps d’une nuit de folie où ils vont cambrioler ensemble les maisons luxueuses d’une banlieue pavillonnaire. Monique est sous le charme et se régale : elle a des billets plein les mains, peut voler des tenues de luxe… Antoine, lui, reste méfiant d’autant plus que Bob lui fait ouvertement du rentre dedans.

D’abord gêné, dégoûté, violemment sur la réserve, Antoine baisse peu à peu la garde. Son apparente homophobie se transforme en un désir insoupçonné. Lui et Monique sont si fragilisés qu’ils se laissent amadouer et envoûter par Bob qui leur promet une vie plus libre et agréable. Sans s’en rendre compte, en le suivant, ils entament une violente descente aux enfers.

C’est peu dire que Tenue de soirée brouille nos repères. Bertrand Blier signe ici un véritable joyau noir face auquel on ne sait jamais si l’on doit rire ou pleurer. Le climat est assurément malsain du début à la fin et la violence partout. Violence sociale, évidemment, qui entraîne un brave type comme Antoine à plonger de plus en plus dans le crime, la déchéance. Violence des sentiments aussi. Celle de Monique contre son époux qu’elle n’a de cesse de diminuer. La misogynie crasse de Bob envers Monique. L’homophobie d’Antoine envers Bob. Et puis la violence des deux hommes qui s’unissent pour faire de Monique un toutou ou une boniche.

La mise en scène, diablement efficace et redoutable, réussit l’exploit de rendre crédible des revirements de situation pourtant hautement improbables. On sent la puissance presque inéluctable de la misère et du désespoir qui rend tout d’un coup tout possible. Antoine s’offre à Bob, de plus en plus, se laisse dévorer au point de perdre toutes ses idées, ses principes et sa dignité. L’ensemble est d’une rare perversité et s’appuie sur un scénario implacable jusqu’à un final qui laisse sans voix.

Au coeur du métrage, évidemment, la figure de Bob, ogre romantique et manipulateur qui se définit lui-même comme une pourriture mais dont la force de persuasion hypnotise ses proies. Si on devine qu’il a pu percevoir aisément en Antoine une cible facile, un homosexuel honteux, son personnage machiavélique reste ambigu. Car tout le monde ici est la victime d’un système et Bob lui-même n’échappera pas à un destin terrible. On n’arrive jamais à déceler la nature des sentiments qui animent les personnages, s’ils s’aiment vraiment ou non. Ils sont comme de pauvres fous pris dans une spirale infernale, piégés par une société qui les détruira jusqu’aux entrailles.

Ce « putain de film » pour citer son affiche culte fait l’effet d’un vénéneux cauchemar, aussi fascinant que glaçant.

Film sorti en 1986 et disponible en DVD et VOD