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THE DUKE OF BURGUNDY de Peter Strickland : rituel

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Une vaste demeure, en Europe. Cynthia (Sidse Babett Knudsen) fait sa lecture, impériale, tandis qu’Evelyn (Chiara D’Anna) s’adonne au ménage, nettoie ses culottes ou ses bottes. Quand elle n’est pas satisfaite de sa servante, Cynthia la corrige à coups de fluides dans les toilettes ou en l’enfermant dans un cercueil.

Cela fait un moment maintenant que les deux femmes, qui vivent ensemble, partagent ces jeux étranges. Mais subitement, Cynthia commence à douter : a-t-elle envie de jouer à la domina en permanence ? Combien de temps vont encore se répéter ces scènes qu’Evelyn aime tant jouer ? Petit à petit, la lassitude s’impose et le couple se délite… 

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Grande et belle surprise que ce long-métrage du réalisateur de Berberian Sound Studio. Dans une luxueuse maison, dans un cadre volontairement intemporel, deux femmes mettent en scène des relations basées sur les jeux de pouvoir et de domination. Progressivement, le spectateur découvre que les rôles établis sont un mirage, que celle qui domine et humilie n’est pas du tout celle qui mène la partie.

En effet, si elle excelle dans sa partition de domina, Cynthia est la plus tendre, celle qui au final est la plus masochiste. Evelyn, sous ses airs enfantins et soumis, est celle qui invente les histoires, recadre le déroulement des scénario quand sa compagne ne s’implique pas assez, est la propriétaire de la demeure. Tout le film durant, le rapport trouble entre sentiments, perversion et colère qui animent les deux amoureuses va flirter avec leurs limites respectives. Jusqu’où peut-aller le jeu ? Jusqu’à quel point peut-on accepter de rejouer la même scène ?

Subtil, extrêmement cinématographique, non dénué d’humour, le film de Peter Strickland joue gracieusement avec le hors-champ, réussit à troubler et amuser en même temps. D’un oeil complice, rieur et un peu inquiet aussi on lit sur le visage de Cynthia (incroyable Sidse Babett Knudsen) le trop plein qui est en train de la ronger. Evelyn ne veut jamais s’arrêter, fait déborder la mise en scène sur leur quotidien. Quand elle ne porte pas sa perruque et ses habits bourgeois, qu’elle est en simple pyjama, tendre et sensible, Cynthia a l’impression de ne plus être assez aimée, désirée. Ce qui était un jeu se mue en règle, en obligation. Une routine de couple qui aurait pu être comme les autres mais dont l’excentricité et l’exigence psychologique épuisent.

Variation originale sur le couple et les rapports de force, sur le rituel du désir, The Duke of Burgundy déploie un univers visuel riche, flirtant avec le baroque et le conte SM, se permet de belles fulgurances abstraites et sensorielles, joue autant et malicieusement avec le son que les non-dits. Tension perverse et rentrée, peur masquée de perdre l’autre, de se perdre soi-même : le film ose, marque, ne choque jamais gratuitement et cultive le mystère. Du cinéma à l’état pur, intelligent, physique et psychique, sensible et ironique.

Film sorti en 2015 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3