FICTIONS LGBT
THE PASS de Ben A. Williams : Russell Tovey en footeux homo refoulé
Film anglais rare avec l’irrésistible Russell Tovey, The Pass suit les trajectoires de deux joueurs de foot après une nuit décisive dans une chambre d’hôtel. Si vous êtes fan de Russell Tovey, c’est à voir absolument.
Le long-métrage, qui a pour point de départ une pièce de théâtre, est scindé en 3 parties nous faisant avancer dans le temps. Tout commence un soir dans une chambre d’hôtel à Bucharest : Jason (Russell Tovey) et Ade (Arinzé Kene) se baladent à moitié nus et se chambrent. Ils sont à l’aube d’un match décisif qui pourrait les faire entrer dans une prestigieuse équipe. La « passe » du titre fait référence à la crainte des deux joueurs qu’à un moment, ils ne se fassent pas de passe mais aillent droit au but pour signer un moment de bravoure, se la jouer plus perso et attirer les regards sur eux. Mais le titre va aussi, on va le comprendre, renvoyer à une métaphore plus personnelle.
On pourrait croire que les deux joueurs sont amants dès les premières secondes : ils se tournent autour, leurs corps n’ont de cesse de s’effleurer, la tension sexuelle est omniprésente. Mais s’ils se cherchent, les deux footballeurs se la jouent hétéros… jusqu’à ce que lors d’une chamaillerie l’un des deux se mettent à devenir un peu dur. Jason et Ade, tous deux à l’évidence homos refoulés dans un milieu qui on le sait est toujours loin d’être gay-friendly, vont se rapprocher le temps d’une nuit. Un moment qui va faire basculer les choses pour l’un comme pour l’autre.
Les deux autres segments du film montreront les évolutions des personnages en avançant dans le temps. L’un va réussir dans le foot et continuer de refouler son homosexualité, l’autre va devoir composer avec son échec professionnel mais assumera qui il est vraiment.
Côté mise en scène, le réalisateur Ben A. Williams signe une oeuvre aux allures de théâtre filmé mais avec vigueur et en nous faisant ressentir le désir, la peur, les névroses de ses protagonistes. Les trois chapitres du film se déroulent dans des chambres d’hôtel la nuit. Le choix de l’aspect huis clos est payant : il émane de l’ensemble quelque chose d’étouffant et on ressent de plus en plus la douleur de l’enfermement, le poids de ne pouvoir vivre son identité sexuelle que de façon cachée.
Intimiste, The Pass parle aussi bien d’une homosexualité encore condamnée à être tue dans le milieu du foot que des choix professionnels que l’on peut faire dans sa vie. On peut parfois être prêt à tout pour réussir quitte à s’esquinter soi-même. On a vite fait de prioriser les mauvaises choses et de finir très seul.
Joliment écrit et formidablement interprété, ce drame marque surtout les esprits grâce à la prestation intense de Russell Tovey. La caméra du réalisateur est absorbée par son charme légendaire et son corps très musclé pour l’occasion (toute la première partie est un énorme bonbon pour les yeux avec un Russell décoloré en slip blanc bien moulant qui se dandine dans tous les sens) avant de dévoiler toute la puissance de son jeu d’acteur. A l’instar de la série Looking qui l’a révélé, le comédien s’empare ici avec brio d’un rôle d’antagoniste dévoré par ses pulsions refoulées et déchiré par la haine de soi l’emportant vers un véritable cauchemar éveillé.
Le film, à l’heure de l’écriture de ces lignes, n’est toujours pas sorti en France et n’a pratiquement été montré dans aucun festival alors qu’il avait été produit en 2016. On ne peut donc hélas pas le voir de façon « officielle » pour l’instant. Perso, après avoir attendu 6 ans, j’ai fini par le rechercher de façon pas super légale en allant sur le site « Gay Torrents » (où il faut quand même bien écumer la section « Drame » pour le dénicher). Espérons qu’un éditeur le proposera un jour chez nous.