FICTIONS LGBT
TOM À LA FERME de Xavier Dolan : dangereuse obéissance
Tom (Xavier Dolan), jeune publicitaire homosexuel, décide de se rendre dans la famille de son petit ami qui vient de mourir. En arrivant, il comprend que les choses ne vont pas être simples. La mère de son défunt compagnon, Agathe (Lise Roy) ignore tout de la sexualité de son enfant, le pensant hétéro et en couple avec Sara (Evelyne Brochu), une amie de Tom. Ce dernier n’ose dévoiler la vérité, d’autant plus que le grand frère de son amoureux disparu, Francis (Pierre-Yves Cardinal) lui ordonne de se taire. Et autant dire que Tom n’a aucune envie de lui désobéir, le garçon étant aisément colérique, violent.
Cette première obéissance marque toutefois le début d’une relation perverse entre les deux individus. Anéanti par son actuel deuil, Tom ne semble plus trop savoir où il en est. Il se laisse fasciner par Francis, mélange de sensibilité refoulée et de terreur. Petit à petit, dans la ferme familiale, le publicitaire citadin se laisse conditionner. Il apprend à traire les vaches, s’efface, s’oublie, se laissant simplement guider par les instructions du grand frère qui exerce sur lui une domination mentale de plus en plus forte. Désir sexuel latent, passion destructrice qui ne dit pas son nom. Coupé du monde, baignant dans le non-dit, Tom commence à entrevoir pourtant le danger vers lequel le mène cette nouvelle vie de garçon assujetti…
Adaptation de la pièce de théâtre éponyme de Michel Marc Bouchard, Tom à la ferme, quatrième long-métrage en tant que réalisateur de Xavier Dolan, tranche avec les précédentes oeuvres de sa filmographie. S’il est encore ici question d’un amour déraisonné, on est très loin de l’univers pop et saturé de délicieux effets qui avaient propulsé le jeune cinéaste comme l’un des plus prometteurs de sa génération. En effet, Tom à la ferme opte pour une atmosphère noire, glaçante, volontairement asphyxiante afin de déployer une intrigue flirtant avec le thriller, évoquant par moments le maître Hitchcock.
C’est d’abord l’histoire d’un deuil raté. Tom ne peut vraiment enterrer celui qu’il aime, se souvenir de lui comme il l’a connu, la mère de ce dernier ignorant tout de sa vie personnelle, du lien qui unissait son fils à Tom. L’enterrement ne se passe pas du tout comme prévu, la pauvre mère attendant désespérément que la « petite amie » de son fils vienne assister aux funérailles, Tom ne parvenant pas à faire son discours. Personne ne ressort de l’église en paix. Comme pour compenser, expier, Tom accepte sans broncher de rester dans la ferme, de prendre en quelque sorte la place laissée vacante il y a quelques années par son amant. Fils de substitution pour Agathe, petit frère soumis pour Francis.
Alors que le quotidien campagnard, automnal et assez dépressif, se déploie, que la mère semble vaciller entre désespoir et folie, Tom se laisse manipuler par Francis. Peut-être lui évoque-t-il vaguement l’amour qu’il a perdu. Difficile à dire. Francis est en tout cas à lui seul le symbole de l’hyper virilité, du tyran étrangement sexuel. C’est lui qui a pris la place du père dans la famille, qui gère la ferme, fait sa loi. On le craint à l’extérieur pour d’obscures histoires auxquelles il aurait été mêlé. C’est un personnage ambivalent, mystérieux, qui génère terreur et fascination. Un bourreau qui cherche sa petite victime consentante. Fragilisé, Tom se laisse prendre au piège, accepte les coups, se prend d’affection pour cette brute qui peut se révéler tendre le temps d’une danse, d’une parole. Il oublie sa peine en s’oubliant lui-même, en obéissant, en acceptant de devenir la petite chose de Francis. Bien que l’on devine chez Francis une certaine homosexualité latente, les deux garçons, jouant aux frères tendancieux, ne couchent pas ensemble. Leurs « étreintes » se résument à des regards pénétrants, un moment de strangulation… Ce n’est que lorsqu’il incrustera un élément extérieur dans son nouveau quotidien que Tom réalisera à quel point il se risque à sombrer dans la folie, à se perdre définitivement s’il reste sous l’emprise de Francis, dont le portrait n’a de cesse de s’obscurcir.
La difficulté du deuil qui peut plonger dans une certaine dépression ou folie, le trouble identitaire, le déni, le désir refoulé, une relation flirtant avec le sado-masochisme : Tom à la ferme parle un peu de tout ça, avec subtilité, en ne relâchant jamais la tension. Si une fois de plus Xavier Dolan témoigne d’une impressionnante maîtrise, ce nouveau long-métrage lui permet de prouver, si besoin était, qu’il n’a pas besoin d’une armada d’artifices pour donner de l’ampleur à une histoire. Ici le style est asséché, plus brutal mais pas dénué de lyrisme pour autant. L’interprétation est au top et là encore Xavier Dolan tranche avec les rôles qu’il s’offrait par le passé. Tom est un personnage vulnérable, qui s’efface peu à peu, emporté par la peur, le vide et le désir. Sans aucun doute le rôle le plus troublant et fort qu’il ait eu l’occasion de jouer. Magnétique et angoissant, Pierre-Yves Cardinal est pour sa part une belle révélation. La musique est moins présente que d’habitude, le jukebox est resté au placard pour laisser se déployer le silence, les mots qui mentent, qui façonnent. Un film qui met mal à l’aise, et qui confirme tout le bien qu’on pouvait déjà penser de Xavier Dolan, décidément à l’aise dans des registres très variés.
Film sorti en 2014