UN CAÏD ( KING RAT ) de Bryan Forbes : survivre 

By Gaspard Granaud | 11 juillet 2024

Film rare et un peu tombé dans les oubliettes, Un caïd ( King Rat en VO ) de Bryan Forbes nous plonge dans l’enfer d’un camp de prisonniers de guerre en Birmanie en 1945. Si ici on a rattrapé ce film c’est évidemment pour l’aspect « entre-soi entre mecs » mais aussi et surtout car il y a au générique l’acteur James Fox ( inoubliable dans le cultissime film crypto-gay The servant ) et que le film est considéré comme relativement homo-érotique… 

Et en effet, même si l’atmosphère au sein du camp est très virile, la caméra du réalisateur Bryan Forbes s’attarde à de nombreuses reprises sur les torses en sueur des personnages, sur la beauté de leurs visages et sur les rapports plus ambigus qu’ils n’en ont l’air qui existent entre eux. 

Le film prend place alors que la Seconde Guerre Mondiale approche de sa fin mais c’est le désespoir qui règne sur le camp. Au moindre écart détecté, c’est l’exécution. Les hommes sont affamés, épuisés psychologiquement à force d’être coupés du monde réel, de rester en vase clos avec absolument rien à faire si ce n’est craindre le pire. Certains pètent les plombs, cèdent à la folie, sont submergés par leurs démons… Et d’autres, tels de véritables « rats », tirent profit de leur situation. C’est le cas du séduisant et manipulateur Caporal King ( George Segal ) qui ne manque pas d’idées pour survivre et trouver des combines lui amenant de l’argent et lui permettant de vivre une vie confortable à l’inverse de la majorité de ses compagnons d’infortunes. Jeux, marchandages malhonnêtes et bien pire se trament dans une relative discrétion ou avec la complicité de quelques personnes influentes : pour avoir le plaisir de fumer ou de manger, à un moment, certains mettent de côté leurs valeurs. 

King est dans le viseur du Lieutenant Grey ( Tom Courtenay ) qui veut absolument le faire tomber, provoquer sa chute, à un point quasi obsessionnel. Cela est-il simplement car King représente une déchéance morale qu’il a en horreur ou un peu aussi car cet homme toujours beau et bien apprêté, charismatique et viril, trouble quelque chose en lui ? 

Un jour, King surprend un membre anglais du camp, Pete Marlowe ( James Fox ), en train de parler le malais. Intrigué et sentant qu’il peut tirer profit de ce talent, il invite Pete à déguster un oeuf et va rapidement l’intégrer dans son clan. Si Pete semble être plutôt un homme droit, il est aspiré par l’aura de King et va se laisser petit à petit pervertir par lui. Cette amitié virile, fusionnelle, est au coeur du long-métrage et on peut logiquement songer à des sentiments refoulés de Pete pour King. Certains de leurs échanges, entre regards et gestes ambigus, laissent volontiers planer le doute… jusqu’à un final assez amer. 

Si l’homo-érotisme est donc bien de mise, sans être aussi puissant et abrasif qu’on aurait peut-être pu l’espérer, le sujet principal de cette oeuvre injustement oubliée est la survie en camp en temps de guerre. Le titre original est ainsi parfaitement choisi, King étant parfaitement « le roi des rats » dans un huis clos où la faim et la chaleur peuvent vite réveiller les bas instincts et les pulsions primitives. À un moment donné, King a ainsi l’idée de créer un petit commerce de viande de rats pour se faire de l’argent, en faisant croire aux clients potentiels qu’il s’agit d’autres bêtes… Il trompe également ses camarades lors d’une scène intense où il leur fait goûter sa cuisine du jour : ses amis pensent qu’il s’agit d’un lapin mais il s’agit en fait d’un chien ! Et le dégoût initial et la stupéfaction de finir par laisser place à l’instinct de survie… 

Bien incarné et servi par une mise en scène crépusculaire d’un bel effet, Un caïd laisse sa petite trace et montre l’enfer de la survie et de l’isolement. 

Film produit en 1965 et disponible en VOD sur iTunes