FICTIONS LGBT

UN NOUVEAU PRINTEMPS (Naked as we came) de Richard LeMay : se confronter

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Laura (Karmine Alers) et son frère Elliot (Ryan Vigilant) ont reçu un appel les alertant de l’état de santé critique de leur mère, Lilly (S. Lue McWilliams). Inquiets, ils décident de lui rendre visite. Cela faisait pratiquement un an et demi qu’ils n’avaient pas été la voir. Un long silence qui s’explique par des relations orageuses depuis l’enfance. Lilly était en effet une mauvaise mère, très dure vis à vis de ses enfants, ne leur témoignant quasiment jamais aucun signe d’affection, préférant s’occuper de ses fleurs que de leur bien être. Touchée par le cancer, sentant que la fin approche, elle est ravie de les revoir. Elle a eu le temps de faire le point sur sa vie, a envie de s’excuser auprès d’eux et de vivre de derniers instants en leur compagnie, de façon apaisée.

Laura et Elliott ne pensaient pas la trouver dans un état si vulnérable, sont bouleversés par la situation, à fleur de peau. Entre la tentation de régler de vieux comptes, les rancoeurs et des émotions fortes face à une mère aimante comme ils ne l’avaient jamais connue, le frère et la sœur ne savent plus très bien où ils en sont. Ce séjour de quelques jours loin du travail (ils ont tous les deux repris l’entreprise familiale de leur père décédé) va leur permettre de faire le point sur leur propre vie, de se confronter à leurs failles, leurs doutes.

Au beau milieu des trois membres de cette famille à vif qui peine souvent à communiquer il y a Ted (Ben Weaver), beau jeune homme, romancier, qui travaille pour Lilly comme homme à tout faire et qui est devenu son seul ami. Le fait qu’il vive sous le même toit qu’elle et qu’il se retrouve à partager les multiples conversations familiales très sensibles ne manque pas de mettre mal à l’aise. Lilly a pourtant insisté lourdement pour qu’il reste, ayant peur de se retrouver seule face à ses propres enfants. Les choses se corsent un peu plus quand Elliot, qui est gay, découvre que Ted l’est aussi et qu’ils entament une liaison…

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Un nouveau printemps (« Naked as we came » en VO) est sans doute le film le plus abouti et le plus attachant de son auteur, Richard LeMay (200 American, Cyclone). Une œuvre indépendante à la fois modeste dans sa démarche, très sincère, très sensible et disposant d’une mise en scène élégante, subtilement poétique. En s’attaquant au thème de la maladie qui génère une remise en question de toute son existence, le projet aurait rapidement pu sombrer dans les clichés, le misérabilisme ou la niaiserie. Il n’en est rien, grâce à un scénario délicat qui dessine progressivement des personnages humains, contradictoires, riches en nuance. Ils sont tous à la fois émouvants et un poil tête à claque. Laura, la grande sœur control freak qui ne peut s’empêcher de juger, de s’énerver et de donner des leçons – une façon pour elle de se détacher de ses propres erreurs et de sa frustration. Elliot, le jeune homme beau et un tantinet immature, qui se repose sur les autres, qui ne veut pas trop prendre de responsabilités ou de risques. Lilly la mère indigne en quête de rédemption qui à l’approche de sa mort doit assumer son passé, ses erreurs et qui tente de recoller les morceaux. Ted, le séduisant inconnu aux motifs flous, presque trop lisse pour être honnête…

L’intrigue réserve son lot de rebondissements et l’on apprend progressivement des détails capitaux sur chaque personnage qui permettent de comprendre leur comportement parfois agressif, leurs erreurs présentes ou passées. C’est souvent quand la mort menace que l’on peut percevoir l’essentiel, que l’on peut trouver le courage de se battre, de dompter ses peurs, de s’aimer sans pudeur, d’adopter un nouveau départ. C’est tout bête mais c’est vrai. Le film déploie une atmosphère intimiste, douce, et fait émerger des sentiments profonds, des sensations enfouies, sans jamais trop forcer le trait. Les comédiens, tous peu connus du grand public, sont excellents et Richard LeMay leur réserve à chacun de beaux moments où leur personnage tombe le masque, dévoilant une vulnérabilité assez bouleversante.

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Outre les réflexions sur la vie et sa fragilité, sur toutes ces choses qui nous parasitent et font oublier ce qui compte vraiment, c’est une belle fiction sur l’intimité. Les liens forts bien qu’électriques entre un frère et une sœur, l’amour entre une mère et ses enfants malgré des traumatismes. Et la beauté d’un lien sentimental qui se crée entre deux garçons (le petit couple qui se cherche composé de Elliot et Ted est particulièrement craquant, la beauté plastique des deux interprètes et leur douceur n’y est pas pour rien – on a envie de les voir se faire des câlins tout le long du film).

Un nouveau printemps dégage quelque chose d’à la fois très personnel et d’universel, joue sa petite musique avec calme et raffinement, finissant par toucher en plein cœur. Belle surprise.

Film produit en 2013 et disponible en DVD aux éditions Optimale et sur la plateforme de Films LGBT Queerscreen

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3