FICTIONS LGBT

UNE AFFAIRE DE GOÛT de Bernard Rapp : aspiré

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Rapports de force et drame crypto-gay au menu du film Une affaire de goût de Bernard Rapp qui raconte la relation de plus en plus ambigüe entre un richissime homme d’affaires et son « goûteur ».

Frédéric Delamont (Bernard Giraudeau) est un très riche industriel aussi charismatique qu’intransigeant. Alors qu’il déjeune dans un restaurant avec l’un de ses bras droits, il est séduit par un jeune serveur intérimaire, Nicolas Rivière (Jean-Pierre Lorit). Il l’asticote, le serveur lui tient tête, il lui propose de l’appeler pour lui proposer un travail.

Nicolas, qui vit en colocation avec des amis et sa copine kiosquière Béatrice (Florence Thomassin), n’a jamais fait du travail ou de l’argent ses priorités. C’est un jeune homme beau, doux, sans ambitions particulières, qui apprécie sa liberté. Quand Delamont lui propose de devenir son goûteur personnel (il devra goûter chacun de ses plats avant lui et deviner de quoi ils sont composés, l’homme d’affaires ayant de nombreuses intolérances), Nicolas est piqué de curiosité et accepte. Il décroche le plus gros salaire qu’il n’a jamais eu et découvre un nouveau monde.

Mis sous un contrat des plus stricts, le jeune goûteur voit rapidement sa relation professionnelle prendre le dessus sur tout le reste. Sa compagne s’inquiète, a peur qu’il change; lui se veut rassurant mais peine à cacher sa fascination grandissante pour son employeur. Rapidement, Delamont et Nicolas deviennent inséparables. Le businessman empiète sur tous les aspects de sa vie, instaure un lien complice, amical et de plus en plus trouble. Sans que Nicolas ne s’en rende compte, il devient accro à cet homme dominant qui fait tout pour qu’ils se ressemblent de plus en plus. Nicolas devient son conseiller, son confident, accepte de plus en plus de choses sans réaliser qu’il se soumet jusqu’à l’impensable. Embarqué dans un jeu pervers dont il ne saisit pas vraiment les règles et les limites, Nicolas pourrait bien se perdre totalement…

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Mise en scène élégante, scénario aux petits oignons et surtout excellent duel d’acteurs : Une affaire de goût fascine de bout en bout. C’est l’histoire d’un rapport de force très ambigu entre deux hommes. La domination de Delamont sur Nicolas se fait naturellement. C’est à l’origine une domination de classe. Il a l’argent, le charisme, les clés d’un monde luxueux dans lequel il fait entrer son jeune poulain. Et puis tout devient plus flou. Volontairement, le patron fait pénétrer son bel employé dans son intimité et envahit la sienne, ébranle ses convictions, ses certitudes. Plus le temps passe, plus Nicolas est sous emprise, comme hypnotisé, devenant dépendant à son supérieur, se révélant de plus en plus prêt à tout pour le satisfaire, avoir son respect, son approbation, continuer d’être à ses côtés.

Quand il est avec Delamont, Nicolas a l’impression d’être un enfant gâté, il est dans la lumière, respecté, admiré, jalousé aussi par les autres proches et collaborateurs de l’impayable industriel. S’il plane pendant tout le métrage un caractère crypto-gay, la relation affectueuse et tordue entre les deux hommes n’est jamais vraiment clairement identifiée. Nicolas n’est pas homosexuel, Delamont peut-être plus mais ce qu’il y a entre eux est aussi inqualifiable qu’enivrant et obsédant. Le rapport de force aurait pu s’inverser, à la façon du film The servant de Joseph Losey mais cela ne sera pas vraiment le cas, le personnage de Delamont ayant plus d’un tour dans son sac pour manipuler son petit chouchou de plus en plus docile.

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On comprend rapidement (le film adoptant une narration en deux temps) que les choses vont potentiellement très mal tourner. Cela ne gâche en rien un suspense psychologique rondement mené et une série de dialogues d’une délicieuse perversité. Dans la peau de Frédéric Delamont, homme fou, dangereux et qui ne sait plus quoi inventer pour se sentir vivant et rendre son quotidien croustillant, Bernard Giraudeau est au sommet. En goûteur docile et fasciné, Jean-Pierre Lorit brille par sa beauté, sa douceur, sa vulnérabilité. Parmi les seconds rôles on retrouve Florence Thomassin, Jean-Pierre Léaud et Charles Berling.

Piquant,  malsain et bien ficelé : un drame français élégant et troublant qui flirte avec le thriller et un homoérotisme subtil. A redécouvrir d’urgence.

Film sorti en 2000. Disponible en DVD et VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3