CINEMA
UNE FEMME EST UNE FEMME de Jean-Luc Godard : sales gosses
C’est un des films les plus pop de la Nouvelle Vague avec un merveilleux trio d’acteurs. Une femme est une femme fait l’effet d’un cinéma bonbon teinté d’insolence et reste une des oeuvres les plus légères de Godard.
Paris, quartier du Faubourg Saint-Denis. Angela (Anna Karina), belle et jeune femme d’origine danoise, croque la vie avec légèreté même si le quotidien n’est pas tous les jours facile. Elle s’accommode de son travail dans une petite boîte de strip-tease et vit avec son amoureux, Emile (Jean-Claude Brialy), qui lui tient un kiosque en se rêvant cycliste.
Angela a depuis un moment en tête un désir d’enfant grandissant. Superstitieuse, elle s’intéresse aux horoscopes et achète même un gadget sensé lui annoncer la date idéale pour faire un bébé. Il se trouve que la date qui s’affiche est celle du jour-même. Elle va alors presser Emile. Sauf que ce dernier n’en a pas envie pour l’instant…
Très triste à l’idée que celui qu’elle aime infiniment malgré leurs querelles de sales gosses ne se voit pas fonder une famille avec elle pour l’instant, elle le provoque. Les scènes de ménage s’enchaînent et Angela décide d’attiser la jalousie de son homme en flirtant avec un ami de celui-ci : Alfred (Jean-Pierre Belmondo). Alfred est réellement amoureux d’Angela et va faire tout son possible pour profiter des tensions du jeune couple pour essayer de la conquérir enfin…
La trame du film est légère, simple, sentimentale. Godard s’amuse ici tout d’abord à opposer les hommes et la femme. Sa vision du féminin pourra paraître un peu réductrice voire misogyne aujourd’hui mais à sa décharge, il n’hésite pas non plus à égratigner ses personnages masculins et le spectateur s’attache avant tout à Angela.
Ce qui fait le sel de cette oeuvre en cinemascope merveilleusement colorée, c’est le travail sur la forme. Le réalisateur multiplie les clins d’oeil à la comédie musicale, cite ses amis Demy et Truffaut, enchaîne les apostrophes face caméra, les digressions, entraîne ses acteurs entre le théâtre et le cartoon. Les nombreux artifices déployés, l’insolence et le côté très parisien du métrage pourront en fatiguer certains. Et son originalité, sa proposition de réinventer la comédie populaire et sentimentale à la française, sa fantaisie, en raviront bien d’autres. Le film avait divisé lors de sa sortie et divise toujours, preuve de sa singularité.
Si à l’instar de ses protagonistes Godard se présente en sale gosse, jalonnant son intrigue de parenthèses qui cassent les habitudes et agressent presque le spectateur avec tous ces cris et ces gamineries, Une femme est une femme a ce charme des années 1960 et est un véritable bonheur à regarder. Les couleurs, les habits, l’atmosphère du Paris de l’époque : tout cela amène beaucoup de charme à cette guerre des sexes et guerre de couple à l’écriture ludique et parfois acide. C’est peut-être le film de Godard qui se rapproche le plus de celui de l’univers de Demy : la boîte de strip tease, la légèreté, Michel Legrand au générique, les sourires et les couleurs alors que souvent ce qui est en arrière-plan est plutôt triste.
Ne durant qu’un peu plus de 1h20, l’oeuvre défile à toute allure, portée par l’énergie et la beauté de ses trois comédiens principaux. Et c’est sans doute l’un de ses plus gros atouts : même s’ils peuvent parfois irriter, paraître naïfs ou cruels, on tombe amoureux de ces personnages. Regarder les jeunes Anna Karina, Jean-Claude Brialy et Jean-Paul Belmondo se tourner autour, se chercher et s’affronter est un plaisir de chaque instant. Ils sont beaux, tout simplement (à titre personnel c’est un des films où je trouve Jean-Claude Brialy le plus beau).
Film sorti en 1961. Disponible en DVD et VOD