FICTIONS LGBT
VINGT MILLE LIEUES SOUS LA MÈRE de François Zabaleta : la non-relation d’une mère et son fils
Comme le titre le laisse deviner, dans Vingt mille lieues sous la mère l’inclassable François Zabaleta propose une nouvelle auto-fiction cette fois autour de la figure maternelle. Un sujet qui ailleurs aurait sans doute donné lieu à une certaine sensiblerie, à de la nostalgie. Ici il n’en est rien.
Le début du métrage ne tourne pas autour du pot et rompt tout suspense : « Ce n’est pas une histoire. Il ne se passe rien. Au sens propre il n’y a pas de personnages. C’est l’histoire d’une absence d’histoire. La nonhistoire d’une mère et d’un fls, d’une non-mère et d’un non-fls, qui ne se rencontrent pas ». Voilà, c’est dit. Pendant un peu plus d’une heure, avec son style tout particulier (voix off grave et insondable tandis qu’à l’écran s’enchainent vidéos, photographies, archives et images « volées » à d’autres arts), l’auteur va plonger dans les douloureux souvenirs qui constituent sa non-relation avec sa mère.
Le moins que l’on puisse dire c’est que le texte sur lequel s’appuie ce nouveau projet n’est pas tendre. François Zabaleta délivre peut-être ici une de ses oeuvres les plus sèches, à certains moments glaçante comme la mort. Et elle s’attaque à un sujet qui reste quelque part encore un tabou : l’absence d’amour qui peut exister entre un parent et son enfant. La société, la morale, voudrait que ce lien fasse de façon indiscutable circuler de l’amour. Mais parfois, si l’on est honnête, malgré les efforts, les tentatives, « le courant ne passe pas ». Est-ce que cela veut dire pour autant qu’il n’y a pas d’amour du tout ? Car même quand il n’y a rien à part la frustration de ne pas avoir connu ce lien si puissant, on a quand même envie ou besoin d’y revenir, on y repense encore et encore, on cherche à comprendre.
Si à aucun moment Zabaleta ne succombe à l’émotion, si les mots sont aussi tranchants que ce que la mémoire ravive est frustrant, les images trahissent quelques regrets, cette envie de croire encore à un amour qui n’a pas vraiment existé. Pendant des années, Zabaleta a filmé sa mère. Elle le laissait filmer même si elle ne s’intéressait à aucun de ses films et ne l’a jamais encouragé dans son rêve de devenir cinéaste. Ces images constituent peut-être le seul lien palpable entre la mère et le fils. S’ils n’ont jamais réussi à se parler ni se comprendre, par le biais de la caméra, sans être tout à fait ensemble, ils jouent, partagent quelque chose, quelque chose qui restera là pour toujours. Et bien que la voix off ne l’admettra jamais, la façon dont la mère est filmée trahit un amour qui est là malgré tout. François Zabaleta ne peut pas s’empêcher avec sa caméra de contempler, transcender, celle qui ne lui a pas assez donné et dont il apprendra plus tard qu’ils avaient peut-être plus de points communs qu’il ne le pensait.
Au final, cette « non relation » devient en quelque sorte un « amour fictif », par les images. Et si jamais il ne cède ouvertement à la colère ou au larmoiement, s’il garde son armure, François Zabaleta évoque son besoin de consolation par d’autres images, par l’art. A défaut d’avoir obtenu ce qu’un fils est en droit d’attendre de sa mère, il trouve l’inspiration, ce qui le nourrit et le construit dans des icônes comme Pina Bausch ou Marguerite Duras qui se muent en maman de substitution rêvées.
Autopsie sans fard d’une sorte de relation mort-née, Vingt mille lieux sous la mère appuie où ça fait mal et trouve son salut, son refuge, dans la toute puissance de la fiction.
Film produit en 2024 et présenté au Festival Chéries Chéris 2024