WILD SIDE de Sebastien Lifshitz : vérité et liberté

Stéphanie (Stéphanie Michelini) vit à Paris avec Djamel (Yasmine Belmadi) et Mikhail (Edouard Mikitine). Elle gagne sa vie en se prostituant. Mais voilà qu’une personne appelle chez elle et demande à parler à un certain Pierre. Pierre c’était Stéphanie, avant son changement de sexe. Sa mère est souffrante, il faut retourner dans le village natal. Stéphanie y va, accompagnée dans un premier temps de Mikhail puis plus tard par Djamel. Ce retour au bercail est l’occasion de se remémorer un passé pas toujours heureux, de revoir une vieille connaissance et de s’interroger sur son présent. Un voyage qui laissera une trace…

Avec une femme trans en héroïne et un scénario qui parle de ménage à trois et de prostitution, Wild Side aurait vite pu tomber dans certains clichés. Mais dès le départ, Sébastien Lifshitz impose son point de vue, sa sensibilité et son énorme respect et pudeur vis-à-vis de ses protagonistes. Chacun est présenté à sa manière entre flashbacks, vieilles photos et autres moments apparaissant comme suspendus, comme des rêves. Les très beaux plans fixes laissent place à des panoramiques sexués et intrigants. D’une beauté formelle indiscutable, Wild Side est aussi et surtout une histoire bouleversante et d’une subtilité sidérante.

Il faut voir comment le réalisateur nous apprend que Stéphanie est une femme trans, que ses personnages se prostituent ou qu’ils forment un ménage à trois. Il n’y a jamais d’effet particulier employé, un simple enchainement qui nous apporte juste une information. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : de simples éléments qui ne sauraient définir pleinement les personnages. Plus qu’un hymne à la différence (parler de « différence » pour ce film-là serait presque injurieux) , il s’agit là d’un portrait de la liberté. Pas d’étiquettes.

La liberté de coucher avec des garçons ou des filles, la liberté d’être un garçon ou une fille, la liberté d’aimer deux personnes en même temps. Les personnages de Wild Side sont en quête de vérité, leur vérité. Ils ont tous un passé plutôt douloureux à assumer qui se mêle à la plénitude que leur procure un ménage à trois basé sur le plaisir, la tendresse, le respect (mais qui parfois laisse de côté l’un ou l’autre). Cette vérité semble pour eux devoir passer par une forme de liberté. Mais une liberté qui a un prix. Certes, ils n’ont pas à travailler comme tout le monde, à s’accoutumer de la routine, à suivre un chemin balisé. Mais pour cela ils doivent donner de leur corps.

Sébastien Lifshitz se plait à filmer ses protagonistes séparément. Une façon pour le spectateur de partager des moments de solitude avec chacun, de rentrer dans un rapport très intime. Mais ce n’est que pour mieux les faire évoluer au contact des autres. Les liens entre les personnages sont ainsi souvent bouleversants, se passent la plupart du temps de dialogues, se suffisent de gestes, de maladresses, de regards. Les acteurs sont tous éblouissants, leurs visages sont des trésors d’expression et leurs corps sont beaux, filmés avec sensualité. On les aime, on les désire.

Le rapport du corps à l’âme, le côté sauvage des étreintes mêlé à la délicatesse d’un échange inattendu…Wild Side se révèle être une sorte de Jules et Jim modernisée, une fabuleuse proposition de cinéma qui s’articule autour de personnages qui à l’issu du film ne resteront des marginaux qu’aux yeux des esprits les plus obtus. Œuvre majeure et inoubliable.

Film sorti en 2004 et disponible en DVD