FICTIONS LGBT
17 FOIS CÉCILE CASSARD de Christophe Honoré : de la mort à la vie
« Je commence à pouvoir imaginer la mort des gens » , lance un petit garçon plongé dans le noir. Ce petit garçon pourrait être Christophe Honoré, marqué par la mort de son papa. Il y a donc un père qui meurt dans un accident de voiture. Mais aussi et surtout un mari, un grand amour. Celui de Cécile Cassard (Béatrice Dalle).
La femme peine à faire son deuil, est hantée par son défunt compagnon, a elle-même envie de mourir. Le film débute ainsi, sur une touche très sombre, où la musique dépressive accompagne de violents silences qui en disent long. Cécile ne se sent plus apte à être mère, elle se trouve même de plus en plus dangereuse pour son petit garçon. Rongée par la tristesse et par une envie de faire le point, elle l’abandonne. Elle prétexte une sortie au cinéma, le laisse à une amie très maternelle (Jeanne Balibar) et part loin. Un acte cruel et désespéré, égoiste. Mais nécessaire.
Cécile déambule seule dans une autre ville, traine comme un fantôme. La réalité est cauchemar, plus rien n’a de sens, les gens ne sont que des ombres. Et puis un soir elle rencontre deux gamins. Ils la draguent et la suivent dans sa chambre d’hôtel à Toulouse. Ils fument, ils dansent, ils rient. L’instinct maternel ressurgit. Puis vient enfin la rencontre avec un jeune homosexuel, Matthieu (Romain Duris), une rencontre qui pourrait tout changer, faire revenir le bonheur ou au moins la volonté de tenter de le trouver. Au contact des autres, Cécile se redécouvre, tente de se reconstruire, tombe pour mieux finir par se relever…
17 fois Cécile Cassard est le premier long-métrage de Christophe Honoré (après le téléfilm Tout contre Léo) et il impose d’emblée un univers cinématographique fort tout en témoignant d’une mise en scène aussi inventive que maitrisée. Ceux qui sont devenus fans du cinéaste avec des films comme Les chansons d’amour pourront être surpris à la vision de cette oeuvre très différente du « style Honoré » tel qu’on peut le connaître aujourd’hui. En effet, au moment de sa sortie, ce premier film avait été comparé aux travaux de cinéastes comme Lynch, Ferrara, Grandrieux ou Fassbinder. Ici on ajouterait le nom de João Pedro Rodrigues pour le fétichisme noir qui parcourt l’ensemble de ce récit de deuil.
Ça n’est pas une oeuvre facile ni confortable : le réalisateur réussit avec une rare justesse à matérialiser le parfum de la mort à l’écran. On ressent toute la douleur du personnage de Cécile Cassard qui n’arrive tout simplement plus à vivre alors que son mari, la personne qu’elle aimait le plus au monde, est mort. L’atmosphère est lourde, pesante, l’obscurité vénéneuse envahit le champ. En arrière-plan, un petit garçon tout mignon qui a besoin de sa maman et cette dernière qui réalise, bouleversée, qu’elle n’a pas la force de le protéger voire pire : qu’elle devient toxique pour lui.
Comme le titre du film l’indique, 17 moments de la vie de cette femme brisée, à terre au début du métrage, se succèdent. On la voit dévorée par la tristesse, prise de pulsions de mort, complètement étrangère au monde qui l’entoure. Et puis, l’air de rien, la magie de la vie lui met sur son chemin des personnes qui vont l’aider, ne serait-ce que furtivement, à retrouver le sourire. Déménageant à Toulouse, Cécile se fait alpaguer par deux ados aguicheurs dont l’un des deux tombe amoureux d’elle. Elle en fera un ami. Et il y a bien sûr Matthieu, un gay à la soif de vie et d’amour, plein de tendresse et de fantaisie, qui va porter Cécile à plus d’une reprise. 17 fois Cécile Cassard est le récit de cette amitié inattendue qui redonne le goût de vivre.
Si Christophe Honoré livre ici ce qui est l’une de ses oeuvres les plus radicales, n’hésitant pas à nous plonger au coeur du chaos intime et des ténèbres, il nous surprend plus d’une fois avec des scènes complètement touchées par la grâce. Un moment improbable dans une chambre d’hôtel entre la veuve Cécile et deux ados, l’un dansant sur un morceau à la beauté électrisante. Une autre danse sensuelle et hors du temps entre Béatrice Dalle et Romain Duris (rejoints par le beau Julien Collet dont la sensualité discrète fait des ravages). La course sous la pluie d’un ado énamouré digne d’une vibrante comédie romantique, la beauté mélancolique en plus. Un eden où Romain Duris se prend pour Anouk Aimée dans Lola. Des images finales et un sourire qui donnent le frisson.
Le cinéaste semble chercher les bases de son cinéma et balance à chaque segment des plans originaux, poétiques, qui touchent souvent au sublime. Il dévoile aussi une grande aisance pour mêler images et musique (la bande-originale signée Alex Beaupain et Lily Margot est peut-être la plus belle de toute sa filmo), provoquant à tous les coups des émotions fortes et des plans qui restent dans les rétines pour longtemps. On apprécie enfin le côté bizarroïde, animal, fétichiste de certaines scènes (l’intimité est ici montrée sous un jour très primitif même si en opposition il y a cette très belle scène au lit entre Romain Duris et Julien Collet).
Tous les comédiens présents sont magnifiques, d’une folle humanité. Romain Duris étonne dans la peau d’un homo à la fois tendre et sans langue de bois, ami fidèle mais qui peut parfois être égoïste aussi. Il est beau dans toutes ses nuances et il en va de même pour le personnage titre campé par une Béatrice Dalle au sommet qui trouve là un de ses plus beaux rôles. Tout le film colle à sa peau, embrasse ses émotions et ses contradictions. On souffre avec elle, on rit avec elle, on vit avec elle et on espère qu’elle finira par sortir la tête de l’eau jusqu’à une dernière image rédemptrice.
Atmosphérique et perturbant tout en étant très émouvant, 17 fois Cécile Cassard est le très beau premier film, magnétique et entêtant, de celui qui allait devenir un des réalisateurs préférés de l’auteur de ces lignes.
Film sorti en 2002 et disponible en VOD