FICTIONS LGBT
UN APRÈS-MIDI DE CHIEN de Sidney Lumet : imprévus
Brooklyn, un après-midi. Sonny (Al Pacino) et son comparse Sal (John Cazale) s’apprêtent à braquer une banque, accompagné d’un jeune complice. Mais une fois sur place, rien ne se passe comme ils l’avaient prévu : le complice prend peur et se débine, Sonny enchaîne les maladresses, Sal est là sans être là, le coffre est quasi-vide, l’assureur d’en face devine que quelque chose cloche et appelle la Police. Ce qui ne devait durer que quelques minutes se transforme alors en une longue prise d’otages. Encerclés par les forces de l’ordre et le FBI, les deux malfrats vont tenter tant bien que mal de trouver une solution pour sauver leur peau et échapper à la prison.
D’abord terrorisés, les employés de banque finissent par se prendre de sympathie pour Sonny, homme largué et sans le sou qui a décidé de les braquer pour payer une opération de changement de sexe à Léon (Chris Sarandon), un homme né dans le mauvais corps avec qui il s’est marié après sa séparation avec sa première épouse à laquelle il avait donné deux enfants. Dans un climat de plus en plus tendu, Sonny se heurte à ses faiblesses, ses fêlures et à la folie de la société de son époque.
Adapté de faits réels, Un après-midi de chien (Dog Day Afternoon en VO) est un véritable chef d’oeuvre de Sidney Lumet qui déjoue avec intelligence, finesse et irrévérence toutes les attentes. On s’attend tout d’abord à un film de braquage ou le portrait de deux voyous en voyant Sonny et Sal préparer leur coup. Mais quand leur jeune complice panique et demande à partir, on flirte davantage avec l’absurde voire la pure comédie. La façon maladroite avec laquelle les deux malfrats tentent de dévaliser la banque est absolument grotesque et même les employés, bien que tétanisés, finissent par être tentés de tourner la chose en dérision. Sonny, bourreau présumé, va finir par être la grande victime de cette histoire.
C’est d’abord un homme victime de lui-même, peu sûr de lui malgré ce qu’il essaie de faire croire, qui a constamment besoin d’être aimé alors qu’il ne fait absolument rien pour. Il redouble d’attention pour ses otages après leur avoir fait subir un véritable choc psychologique, il veut vivre avec Leon alors qu’il l’a malmené et fait traverser un véritable enfer, il braque une banque sans avoir pris toutes les précautions préalables… Un vrai sale gosse, un peu fou, dénué du sens des réalités qui se révèle attachant dans son incapacité à se gérer lui-même et du coup à contrôler tout ce qu’il entreprend, ce qui l’entoure. Embarqué dans un délit qui finit par le dépasser, il sent que tout est fichu d’avance mais se rêve en héros. Et s’il parvenait à convaincre La Police ou le FBI de céder à ses caprices, de le laisser s’échapper vers un pays inconnu en jet privé contre la garantie de laisser repartir tous ses otages en vie ? Entre deux échanges avec les interlocuteurs des forces de l’ordre, il s’attire l’attention du public. D’abord en évoquant outrageusement la mutinerie de la prison d’Attica puis en devenant une figure rebelle pour la communauté LGBT (il finit par avouer avoir commis le braquage pour financer le changement de sexe de Léon, qu’il désigne déjà comme sa femme).
A ce portrait à la fois touchant, étouffant et saupoudré d’humour d’un petit voyou perdu s’ajoute une multitude de sous-thématiques passionnantes. Une réflexion sur la Police montrée comme fourbe, incapable de gérer une situation de crise, déployant des moyens surnaturels pour un braquage, condamnée à bien se tenir (contrairement à d’habitude est-il sous entendu) car les médias sont présents. Sonny insiste ainsi à plusieurs reprises sur le fait qu’ils n’hésitent pas la plupart du temps à tirer dans le tas, surtout quand il ne s’agit pas de femmes ou de mères de famille (les journalistes n’apprécieraient pas). Les médias sont aussi montrés sous un jour peu reluisant, starisant et tournant à la caricature le bandit, déformant la réalité mais aussi le comportement des gens (certaines personnes oublient la gravité de la situation pour jubiler du fait d’être passé à la télévision). Enfin, subtilement, Sidney Lumet aborde la love story de son héros avec une femme trans en devenir (une donnée qui surprend dans un premier temps puis qui se voit joliment banalisée – même si le personnage de Sal ne veut pas qu’on dise qu’il est gay à la télé et que certaines insultes sont perceptibles au moment de la révélation de sa situation amoureuse).
En contraste à un Sonny plein de paradoxes mais très humain, Sal se révèle nettement plus inquiétant. Plusieurs fois il se laisse envahir par des envies morbides et confesse être prêt à éliminer les otages… Il reste dans son coin, tour à tour pathétique ou carrément flippant.
La puissance de la mise en scène qui joue parfaitement avec un petit côté huis clos, l’écriture très riche entre drame, suspense et drôlerie, l’intelligence et le sous-texte politique et social font de Un après-midi de chien une référence offrant une nouvelle fois à Al Pacino, énorme, un rôle inoubliable.
Film sorti en 1976. Disponible en DVD et VOD