FICTIONS LGBT
PHILADELPHIA de Jonathan Demme : fraternité
Andrew Beckett (Tom Hanks) est un avocat brillant que rien ne semble pouvoir arrêter. Alors que son cabinet lui propose de devenir associé, l’heure de la consécration est arrivée. Mais l’homme est depuis quelques temps légèrement affaibli. Lorsqu’il découvre qu’il a le Sida, Beckett tombe de haut et se voit par la même occasion licencier pour « faute professionnelle » ! Une excuse bidon : à l’évidence ses collègues ont eu peur de sa maladie et il fait désormais les frais d’une homophobie latente à laquelle il avait jusqu’alors échappé en dissimulant sa vie privée.
Epaulé par sa famille et son compagnon Miguel (Antonio Banderas), l’avocat dont les jours sont comptés décide de lutter et de traîner au tribunal le cabinet qui l’a bafoué. Mais encore faut-il trouver un avocat…Personne n’accepte de le défendre. Après bien des galères, l’avocat Joe Miller (Denzel Washington) va accepter de s’occuper de l’affaire. Bien que légèrement homophobe, ce dernier va peu à peu se passionner pour son nouveau dossier et laisser de côté ses préjugés. Mais il ne sera pas pour autant aisé de sortir vainqueur du procès, l’ancien cabinet d’Andrew ayant décidé de jouer salement la partie…
Philadelphia fait partie de ces films qui font pleurer dans les chaumières. Difficile en effet de retenir ses larmes face au personnage d’Andrew Beckett, hier si fort et heureux et soudainement renié, dévalorisé par tous ses collègues sous le seul prétexte qu’il est un homosexuel atteint du Sida. S’il est on ne peut plus classique dans la forme et qu’il tire parfois trop la corde sensible (le passage étouffant durant lequel Andrew s’emporte en parlant d’Opéra par exemple), le long-métrage de Jonathan Demme réussit pourtant bel et bien son pari : toucher tout le monde et combattre intelligemment les clichés.
Sorti en 1994, le film a indéniablement permis de sensibiliser une nouvelle fois le grand public et lutter contre l’homophobie et la sérophobie. Nombreux sont les protagonistes à l’écran qui pensent que les gays ne sont que des pervers dégueulasses qui ne trouvent que ce qu’ils méritent avec le Sida. Même Joe Miller, avocat pourtant sensible et père de famille attentionné est bourré de préjugés. L’homosexualité dégoûte, fait partie de ces choses étrangères que l’on ne comprend pas, qui effraient et donc que l’on rejette. Il est intéressant de noter que Miller est noir. Il fait lui aussi partie d’une minorité qui a été bafouée. Mais cela ne l’empêche pas d’avoir le même genre de pensées sordides et intolérantes que les autres. Il refuse ainsi dans un premier temps de représenter Andrew Beckett. Mais en le voyant humilié dans une bibliothèque, il réalise que tout cela va trop loin, qu’il est avant tout ici question des droits de l’Homme et finit par « se dévouer ».
Le titre de l’œuvre n’est pas un hasard, Philadelphia renvoyant à la signification « amour fraternel ». Il en faudra du chemin pour que la fraternité soit de mise…Tandis qu’au tribunal on insinue que les gays ont eu le Sida parce qu’ils l’ont bien cherché tandis que de pauvres malheureux ont contracté le virus par accident, Joe Miller tente de s’accoutumer des mœurs de son client. Et quand on le prend dans la rue ou dans les bars pour un gay militant, le père de famille s’emporte, parfois violemment. Pour changer d’avis, il faudra qu’il assiste à la déchéance de Beckett, qu’il ressente l’intolérance, les humiliations des anciens collègues de celui-ci. Le film est articulé de façon à changer le point de vue de ceux qui en entrant dans la salle avaient des avis arrêtés sur les amours entre hommes, ils vont suivre le cheminent de Miller.
Traitant de l’exclusion, de l’injustice via le portrait d’un homme en chute libre, Philadelphia bouleverse plus d’une fois et se révèle être un mélo des plus habiles, tirant le meilleur de la fragilité mais aussi et surtout de l’ambivalence de ses personnages. On remarquera ainsi que bien que désigné comme la victime, Andrew Beckett n’est pas pour autant un homme irréprochable (il a trompé son compagnon en batifolant avec un inconnu dans un cinéma porno et aurait pu le contaminer). Tout le monde à ses travers, tout le monde fait des fautes, commet des erreurs de jugement. Et tout le monde a un jour été à sa manière victime d’exclusion. Mais l’on ne peut transiger avec les droits fondamentaux. Il faut qu’un jour les gens changent, puissent accéder au pardon, la rédemption, la tolérance. Universel, militant en douceur et intelligent, Philadelphia n’a pas volé son titre de film de référence et relevait à l’époque de l’exploit : que ces sujets soient abordés dans un gros film américain, c’était quelque chose.
Film sorti en 1994. Disponible en DVD et VOD