FICTIONS LGBT
QUEER AS FOLK US, saison 1 : série gay spectaculaire
Remake américain de la série anglaise culte, Queer as folk US reprend la grande majorité de l’intrigue du modèle original et l’amène à un autre niveau. Si les fans de la première heure pourraient être tentés de préférer la version initiale avec son charme anglais et son authenticité, force est de constater que cette relecture donne aux personnages beaucoup plus d’ampleur.
Pittsburgh, début des années 2000. Rien ne résiste au beau Brian Kinney (Gale Harold), publicitaire de 29 ans et plein aux as qui vit dans un magnifique loft. Très porté sur le sexe, le sexy célibataire accumule les plans et passe sa vie dans les clubs du quartier gay accompagné de son meilleur ami Michael Novotny (Hal Sparks).
Alors qu’il passe un moment torride avec un jeune minet blond rencontré en sortant de boite, Justin (Randy Harrison), Brian reçoit un appel et apprend que son amie Lindsay (Thea Gill) est en train d’accoucher. C’est lui le père, il a accepté d’être le géniteur pour que Lindsay puisse être maman avec sa compagne Melanie (Michelle Clunie) avec laquelle elle forme un couple heureux et solide. Cette folle nuit restera dans les mémoires.
Le lendemain, Brian veut jeter hors de chez lui, comme il a l’habitude de le faire, le jeune Justin. C’est là qu’il apprend que ce dernier est mineur et qu’il doit aller au lycée. Ce que Brian n’avait pas anticipé, c’est que Justin ne va pas le lâcher. Fou amoureux de lui, il va le coller et s’incruster dans son quotidien de toutes les façons possibles.
Pour l’ado qui se rêve en artiste, cette rencontre va changer sa vie. Elle va l’aider à s’affirmer, à faire son coming out. Il le dit d’abord à sa meilleure amie Daphne (Makyla Smith) qui s’en doutait un peu. Puis sa mère (Sherry Miller), qui a aussi des doutes, met les pieds dans le plat. Les choses ne vont pas être simples car le père de Justin est légèrement homophobe sur les bords et ni son père ni sa mère ne vont vouloir tolérer que Justin traîne avec Brian, un homme qui approche de la trentaine et qu’ils voient comme un pervers.
Le temps de quelques semaines, nous suivons l’évolution de tous les personnages qui vont se frotter à des questions que beaucoup de LGBT ont pu se poser, vivre : la quête de l’amour vs l’ivresse perpétuelle du célibat, la superficialité du milieu communautaire, le caractère possiblement toxique d’une amitié amoureuse, l’homoparentalité, l’adultère, les problèmes d’addiction, les thérapies de conversion…
Queer as Folk US reprend le fil conducteur de son aînée anglaise et hisse le tout à un autre niveau. Les intrigues sont étirées (22 épisodes pour la version US contre 8 pour celle anglaise), plus creusées voire modifiées, les personnages secondaires sont beaucoup plus travaillés et attachants. Il y a aussi clairement beaucoup plus de moyens et les scènes d’intimité sont à la hauteur des espérances. Pour l’époque, c’était clairement une petite révolution pour le public américain et international : l’audace de Queer as Folk UK a été maintenue et s’y ajoute beaucoup plus d’émotions.
Les personnages les plus fidèles au modèle anglais sont ceux de Brian et Michael (nommés Stuart et Vince dans la version anglaise). Brian a certes une beauté plus plastique, iconique, froide, que le charmant Stuart mais on retrouve toute l’essence du personnage. Il est cette caricature, mi-agaçante mi-attachante, du bogosse gay imbu de lui-même, (très) bien installé, qui ne vit qu’à travers sa vie sexuelle et le milieu gay. Très sûr de lui, il fait aussi bien sensation lors de ses sorties en boite qu’à son travail où son charisme et ses idées en font un élément indispensable. S’il est volontiers blasé, cynique voire cruel avec ses proches, il montre parfois de la tendresse et de la vulnérabilité (notamment à travers sa relation complexe à son père). Egoïste et très égocentré, il va devoir un minimum apprendre à penser aux autres en devenant père lui-même et en étant contraint d’assumer ses responsabilités quand le jeune Justin va finir par le coller et dépendre de lui.
La version US tisse par ailleurs une relation plus sentimentale entre Brian et Justin qui finissent toujours par se retrouver à un moment ou un autre dans le même lit. Petit à petit, il apparaît évident que l’adolescent a réussi grâce à tous ses efforts à toucher l’éternel séducteur.
Mais ce qui caractérise surtout Brian dans cette première saison, c’est son amitié passionnelle avec Michael. Depuis son adolescence ce dernier constitue un pilier. Il est celui à qui il se confie, le seul qui connait la complexité de ses origines, sa personne de confiance. Il est comme son petit frère. Il est son compagnon pour toutes ses sorties et Brian adore le regard que Michael porte sur lui, plein d’admiration, d’affection. Il sent bien que son meilleur ami est secrètement amoureux de lui et il en joue. Et il sait aussi que quelque part cette relaxation est toxique car elle empêche Michael, plus simple et plus romantique, de grandir, d’exister sans son ami qu’il vénère.
S’il est très fidèle au Vince original, Michael apparait ici un peu plus enfantin. C’est peut-être lié à la petite moue de l’acteur Hal Sparks mais c’est aussi car on le voit davantage comme un fils, le personnage de sa mère Debbie (Sharon Gless) étant nettement plus présent. Sharon Gless est par ailleurs extrêmement touchante. Elle fait partie des seconds rôles qui bénéficient d’un meilleur développement que dans la version anglaise. Le personnage voit son excentricité renforcé mais est aussi beaucoup plus humanisé. Il y a quelque chose chez Sharon Gless de spontanément bouleversant. Son regard déborde de sensibilité et de tendresse et sa drôlerie n’a pas d’égal.
Dans cette relecture américaine, Michael connait une véritable histoire d’amour, sa première, avec le plus âgé et charismatique chiropracteur David Cameron (Chris Potter). Là où le personnage anglais de Cameron était peu sympathique, ici David est beaucoup plus attirant et attachant. On a vraiment envie que cette love story marche. Si l’intrigue remet le personnage de Michael face à cette difficulté de choisir entre le célibat et son amitié amoureuse et une vraie relation adulte avec un homme, le scénario va plus loin. La relation entre Michael et David va connaître beaucoup de perturbations : ils ne viennent pas du même milieu social (David mène une vie aisée, a des amis huppés et ne sort presque jamais dans le milieu alors que Michael travaille dans un supermarché et passe sa vie dans les clubs / Michael va développer un complexe d’infériorité et aura même une phase où il deviendra complètement snob en dénigrant ses amis et sa mère), n’ont pas forcément les mêmes attentes (David veut se poser, va proposer à Michael d’emménager chez lui) et ont des univers qui s’ils s’attirent sont opposés (Michael reste dans son univers de Comics enfantins et sa soif de sorties avec ses amis là où David préfère les soirées posées, est un ancien hétéro marié qui a un enfant). Cette relation est très forte et complexe et montre à quel point il est parfois difficile de renoncer à son célibat, à une forme de jeunesse pour s’engager. Elle traite aussi en biais de la question de la fidélité dans le couple.
Cette question de la fidélité sera aussi abordée à travers le couple lesbien formé par Lindsay et Mélanie, qui elles aussi sont beaucoup plus travaillées que dans la version initiale. Lindsay est ici plus belle et plus douce. Et Melanie encore plus mordante (génial personnage , très acide vis à vis de Brian campé avec brio par Michelle Clunie). Ce couple de femmes campe une sorte d’idéal au début de la saison. Elles sont beaucoup plus glamourisées et érotisées. Mais petit à petit le vernis va craquer. Lindsay demandant à rester à la maison pour s’occuper de son enfant, Melanie se met la pression pour tout assumer, finit par étouffer, devenir très caractérielle et succombe aux sirènes de l’infidélité. C’est indéniablement un des plus beaux couples de la série, filmé avec beaucoup de tendresse et de justesse. Souvent Lindsay et Melanie sont perçues par les autres personnages comme un cocon, un refuge, leur maison est celle où l’on vient pour se couper un peu du rythme effréné de la nuit.
La petite déception de cette relecture est peut-être le personnage de Justin. Si Randy Harrison fait tout ce qu’il peut, il n’a pas le charme et le magnétisme de Charlie Hunnam. Ses segments sont ceux qui sont les moins originaux même s’ils apportent le nécessaire discours pour les ados en plein coming out. L’homophobie à l’école, la difficulté du coming out avec les parents, la quête identitaire, la fascination pour un milieu gay qu’il découvre et pour l’homme puissant qu’est Brian. Randy Harrison minaude un peu trop et Justin est un peu plus nian nian que son prédécesseur Nathan qui à terme avait plus de caractère, d’insolence, d’autonomie.
Pour continuer le jeu des comparaisons, le grand plus de cette première saison adaptée est sans aucun doute les personnages d’Emmett (Peter Paige) et Ted (Scott Lowell). Là où ils faisaient un peu tapisserie dans la version UK, ils sont ici très attachants et présents. Emmett est ce gay « folle » plein d’exubérance, parfois langue de vipère mais au coeur d’or. Le personnage s’amuse de la caricature du gay efféminé et la dépasse, lui apportant ampleur et fierté. A travers Emmett sont abordées les thématiques de l’angoisse du test HIV (la PrEP n’existait pas encore) et les cercles de conversion. Ted, lui, est le plus âgé de la bande, le mec pas glam expert comptable qui se fait rejeter par tous les gars lors des soirées. On est vraiment content que les scénaristes aient fait le choix de changer son destin initial (dans la version UK il mourrait suite à une prise de drogue) car c’est vraiment l’un des personnages les plus attachants et intéressants du show, qui tranche avec la superficialité et l’immaturité de ses camarades. Boule de sensibilité, cet homme lambda fan d’opéra qui rêve du grand amour, est poignant à de multiples reprises. Sa relation amoureuse avec un garçon addict fragile et destructeur est tristement criante de vérité.
Plus en arrière-plan, le frère de Debbie et oncle de Michael, Vic, incarne un homosexuel vieillissant et séropositif qui est lui aussi très touchant. Il s’est retiré de la « scène gay » et sa vie se résume à sa collocation avec sa soeur. Ils forment une sorte de drôle de couple très mignon et fusionnel. Dans ce premier chapitre Vic se retrouve pris au piège d’un policier homophobe qui essaie de l’accuser d’attentat à la pudeur. L’occasion pour lui de se réveiller et se battre pour sa dignité.
Si certains ont pu reprocher à la version US d’être trop glamourisée, hors des réalités, c’est pourtant ce qui en fait son charme. La série a ce quelque chose de spectaculaire et à l’heure de l’écriture de ces lignes il n’y a toujours pas eu, 20 ans après, d’équivalent (on aime beaucoup Looking, entre autres, mais elle a un côté plus arty, moins fédérateur et iconique que Queer as folk il faut bien l’admettre). En terme d’écriture, elle surpasse vraiment la série originale, se révèle plus dense, plus profonde, plus émouvante, plus éclectique dans sa représentation de l’homosexualité aussi.
En terme de mise en scène, l’ensemble est plein de souffle et s’amuse d’effets très fin des années 1990 qui matérialisent ce que ressentent les protagonistes. C’est très immersif, sensoriel, charnel, on a l’impression de déambuler dans ces soirées pleines de mâles torse nu et de stroboscopes, ces étreintes épiques, les montagnes russes des sentiments.
Le divertissement est diablement efficace, fun, sexy et militant. Les dialogues sont savoureux avec des tas de références à la culture pop et gay. Une première saison qui est donc un quasi sans faute et qui est logiquement, comme la version UK, devenue complètement culte. Le point qui fâche quand même : l’absence de personnages trans et racisés autres que décoratofs (un remake est en cours, on espère qu’ils rectifieront le tir).
Saison 1 de la série diffusée en 2000 aux Etats-Unis. Disponible sur iTunes