CINEMA
LAURA NUE de Nicolò Ferrari : poids des convenances
Portrait sensible (et audacieux pour l’époque, ce qui lui valut d’hériter d’un parfum de scandale et des foudres de la censure) d’une femme tiraillée entre ses désirs et les convenances, Laura nue (Laura nuda en VO) de Nicolò Ferrari est une belle rareté du cinéma italien.
Vérone. Laura (Giorgia Moll), jeune femme à la beauté éclatante, a soif de liberté. Le film s’ouvre alors qu’elle est endormie nue dans son lit et se réveille alors que commence la soirée. Sa mère la pousse gentiment à grandir un peu et à accélérer les choses avec Franco (Nino Castelnuovo), son petit copain qui lui a fait savoir qu’il voudrait l’épouser. Seulement Laura n’est pas certaine d’en avoir envie ni d’être vraiment amoureuse de lui. Son père, dont elle est très proche, essaie de la rassurer.
Les convenances veulent qu’une jeune fille comme Laura trouve rapidement un époux afin de se conformer, mener une vie descente, fonder une famille. Jusqu’ici, les hommes restent un mystère pour cette femme qui rêve d’un amour qu’elle n’a jamais vraiment réellement ressenti. Après avoir revu un béguin de jeunesse qui ne la fait pas plus vibrer que ça et face à l’impatience de Franco, Laura décide d’accepter la demande en mariage de ce dernier.
Si elle fait du mieux qu’elle peut pour être une femme « bien comme il faut », ses propres désirs la rattrapent. A l’évidence peu attirée par son époux, doux mais fade, Laura ressent l’attraction de la passion quand elle croise un proche de sa meilleure amie Claudia (Anne Vernon). Il s’appelle Marco (Tomàs Millián) , est professeur, a un regard troublant, mélancolique, fort et charnel. Alors qu’une liaison s’esquisse, les doutes des amants finissent hélas par avoir raison d’eux.
Sentant au plus profond d’elle-même qu’elle est probablement passée à côté du véritable amour dont elle rêvait (mais se demandant constamment tout de même si ce grand amour peut vraiment exister ou si ce n’est qu’un leurre), Laura finit par mener une double vie. Quand son mari a le dos tourné, elle s’autorise des instants de liberté avec des amants. Cela ne calme pas pour autant un certain mal de vivre, la jeune femme étant fréquemment comme paralysée par ce vertige d’évoluer dans un monde où elle ne peut être vraiment elle-même…
« Pourquoi, pourquoi ? » répète à plusieurs reprise l’héroïne de ce classique rare. Laura nue explore avec courage le quotidien et les doutes d’une femme au début des années 1960. C’est peu dire qu’on sent le poids du patriarcat. On attend des femmes qu’elles se marient dès le plus jeune âge et fondent une famille sous peine de les condamner au scandale.
Vive et passionnée, Laura sent bien que les conventions ne l’amèneront pas vers le bonheur qu’elle espère trouver. Ses parents ont beau masquer la vérité, elle voit bien que leur mariage ne les rend pas heureux. Mais sa mère nie regretter quoi que ce soit. Triste ironie : c’est juste après son mariage que Laura voit se présenter devant ses yeux toutes les preuves que les mariages fortement encouragés de l’époque font bel et bien le malheur de tous. Sa mère lui avoue avoir un amant, son amie Claudia est au bord de la dépression alors qu’elle accouche d’un bébé qu’elle ne voulait pas vraiment.
Mais surtout, Laura va devoir composer avec l’erreur de s’être laissée précipiter dans les bras de Franco alors qu’elle venait de rencontrer le beau Marco qui incarne un amour plus absolu et charnel à ses yeux. Mais est-il au fond vraiment mieux que les autres ?
On ressent ici toute la pression qui s’exerce sur les femmes. Et le portrait des hommes n’est pas du tout flatteur. Tout le monde semble vouloir posséder Laura et quand elle se permet de tenir un peu tête, les hommes qui la courtisent n’hésitent pas à lever la main sur elle ! Et bien qu’ils s’en excusent juste après cela traduit bien à quel point ces jeux de séduction tournent plutôt au jeu de pouvoir et de force où l’homme et la femme ne jouent clairement pas sur un pied d’égalité.
L’héroïne questionne le sens de l’existence, se demande à quoi rime cette vie où l’on ne peut être totalement libre en tant que femme, sans devoir devenir la propriété d’un homme. Il apparait rapidement que tout le monde ici mène d’une façon ou d’une autre une double vie, baigne dans l’hypocrisie. Personne au final ne croit vraiment en l’institution du mariage ou n’en tire une forme de réel épanouissement. Mais c’est la norme alors tout le monde fait semblant, ment aux autres et à soi-même, s’arrange comme il peut avec la vérité de ses désirs.
Le problème de Laura est que quelque part elle est encore cette petite fille qui ne veut pas mentir, qui ne veut pas décevoir mais qu’elle refuse de renier ce qu’elle est et ce qu’elle veut en même temps. Au point de flirter avec les limites, de s’amener elle-même à se dégoûter, devenir amère avant l’heure. Plus le film avance, plus sa beauté s’apparente à une malédiction.
C’est peu dire que Giorgia Moll est très touchante dans ce rôle qui résonne encore des décennies après. Autour d’elle, un beau casting masculin plein de charme (notamment Nino Castelnuovo, notre éternel crush des Parapluies de Cherbourg, qui malgré sa beauté parvient ici à rendre son personnage de mari mal aimé comme asexué, fantomatique, et le très troublant et suave Tomás Milliàn en amant idéalisé et mélancolique).
Le titre du long-métrage trouve sa signification au détour de cet échange criant entre Laura et son mari Franco alors qu’elle parle de sa mère qui est jugée scandaleuse car elle veut divorcer de son mari pour être heureuse avec son amant.
« Mais pourquoi, pourquoi tous la blâment-ils ?
-Elle s’expose trop.
-Parce qu’elle ne cache pas la vérité. Vous êtes des hypocrites. La vérité est nue et vous craignez de la voir.
-Moi j’aime bien ta mère. Elle t’a fait naître. D’accord la vérité est nue. Mais ça te dirait d’aller nue dans la rue ? Tu courrais te cacher. Tu n’y es pas habituée et tu prendrais froid. Ça ne se fait pas. Il n’y a que chez soi qu’on peut être nu. Et parler vrai. »
Film sorti en 1961.