CINEMA
À PROPOS DE NICE de Jean Vigo : la ville aux deux visages
Ca s’ouvre sur un feu d’artifice. Explosion éphémère. Premier film de Jean Vigo, un court-métrage sous-titré « Point de vue documenté ». Tourné en 1930, noir et blanc, musique d’époque tantôt guillerette ou effrayante, à l’image du projet. Le personnage principal est ici la ville de Nice. J’ai lu sur le net que le film faisait partie d’une collection intitulée Cités symphonies, une série sur les villes dans les années 1920 tendant à montrer « la modernisation de la ville grâce à un travail formel et mécanique ».
Le moins que l’on puisse dire est que l’auteur ne nous donne pas envie de prendre notre billet pour Nice. Au départ, on se laisserait bien séduire par le soleil, les palmiers, l’agitation de la ville, les jeunes filles séduisantes, l’oisiveté ambiante. Ville de plaisirs, ensoleillée, la mer, le luxe, les beaux hôtels, les bals…Mais derrière tout ça des gens qu’on ne veut pas voir. Des gens du peuple, des pauvres. Subitement, le film nous entraine loin des beaux quartiers, nous montre la crasse de ceux qui ne sont pas privilégiés. Trottoirs salles, gens malades ou déformés, jeux de rue, petit garçon avec des sortes de champignons sur le visage. Glauque. Dès lors, la perception du spectateur est modifiée.
Alors que le carnaval se déploie, que la bourgeoisie enrobée jubile, que l’armée défile, on ne peut plus tout regarder comme avant, naïvement. Jeu d’opposition, montage malin, Jean Vigo montre l’envers du décor, les injustices sociales entre humour et désespoir. On a la sensation d’assister à un appel à la révolution, une des installations du carnaval (une tête effrayante) se retrouve au sol.
Toute puissance des images , qui provoquent parfois le vertige (troublante scènes des jeunes filles qui dansent en sautillant avec leurs cuisses généreuses – entre séduction, plaisir et enfer qui s’annonce, cercle vicieux et sans fin). Pas vraiment de scénario, plus une observation, sans concession.
Film sorti en 1930 et disponible en VOD