FICTIONS LGBT
TOUT À LA FOIS (TODO A LA VEZ) de Alberto Fuguet : amour des mâles, amour tout court
Le réalisateur Alberto Fuguet (dont popandfilms avait adoré le film Cola de mono) nous entraîne le temps d’un beau documentaire dans les coulisses du fanzine gay déjà culte Kink en suivant ses deux créateurs et photographes, Paco et Manolo. Une célébration de la beauté masculine, du corps, de l’art et de la liberté.
C’est d’abord l’histoire d’une belle rencontre entre deux hommes. Paco et Manolo reviennent à travers ce film sur les débuts de leur histoire d’amour qui affiche mine de rien déjà plus de 30 années au compteur. Passionnés d’art, de culture, de photographie, ils ont commencé à faire des séances photos ensemble à côté de leur travail. Des séries mode qui leur ont permis de côtoyer du beau monde. Mais Paco et Manolo avaient davantage envie d’un projet indépendant à travers lequel ils seraient complètement libres. On peut les voir en train d’évoquer la difficulté pour eux par exemple d’exposer leur travail. Souvent, même dans le milieu de l’art, on cherche à interférer dans leur processus créatif ou à les brider. Le contrôle de ce qu’ils font étant clairement essentiel pour eux, ils annoncent la couleur : quitte à ne plus jamais être exposés, ils continueront de refuser toute proposition ne leur permettant pas de faire exactement ce dont ils ont envie.
Forcément, avec des dizaines d’années d’expérience dans l’univers de la photographie, les deux hommes savent où ils vont et ce qu’ils veulent. Ils ont fondé le magazine Kink, que l’on peut entre autres trouver dans tout un tas de librairies gays à travers le monde. C’est un très beau fanzine que popandfilms aime beaucoup et qui mêle écriture et photographie, racontant des rencontres avec de beaux mâles de tous horizons : les modèles peuvent à la fois être des artistes, des performers ou de simples inconnus et la diversité des corps est souvent de mise.
Tout à la fois nous donne accès aux coulisses des séances photos du fanzine, dévoilant partiellement la façon de travailler des deux artistes. Ils ont pour eux le fait d’être un duo ce qui apporte, on le comprend en voyant défiler les photoshoots, une forme de confort, de climat de confiance pour les modèles. Ils pourraient peut-être se sentir « cernés » par les deux objectifs en action mais c’est l’inverse qui se produit. Paco et Manolo sont montrés comme assez taiseux, très pros, ils posent une certaine distance, ne sont pas particulièrement expressifs. Ils orientent les modèles pour les poses, cherchent le bon axe, le bon cadre, guident avec bienveillance. Plusieurs modèles évoquent leur excitation d’être photographiés alors qu’ils se retrouvent sans vêtements. La plupart finissent par se faire plaisir en douceur.
Célébration du nu masculin, du corps, le travail de Paco et Manolo capte la grâce et la beauté de modèles plus ou moins amateurs et au passage une part de leur intimité. Ce qui les intéressent, comme beaucoup de photographes, c’est le plaisir des rencontres. Chaque garçon est différent et ils adorent découvrir leurs intérieurs, trouver des indices sur leurs personnalités alors que devant l’objectif ils exposent leur corps et sans toujours s’en rendre vraiment compte un petit bout de leur âme. Ils ne savent jamais ce qui va se passer, mettent, de leur propres dires, « leur savoir-faire au service de l’improvisation », ce qui permet de se laisser porter par l’énergie et les envies de chaque modèle.
Alberto Fuguet fait évidemment honneur au travail photographique des deux artistes et ce film est une parfaite occasion de découvrir quelques-uns de leurs plus beaux portraits. Le réalisateur s’amuse aussi à poser ces petites questions que tout le monde peut avoir en tête sur les photographes qui réalisent des oeuvres de nu : se considèrent-ils comme voyeurs ? Que se disent-ils sur les modèles après la séance photo ? Ont-ils parfois envie de dépasser la limite professionnelle pour aller rejoindre les modèles dans leur excitation ?
Il en faut assurément du professionnalisme pour résister face à tous ces beaux mecs qui se mettent à nu dans tous les sens du terme et qui pour certains finissent par se faire plaisir devant l’objectif. On aperçoit également des séances photos avec des couples qui se livrent sans filet devant les appareils de Paco et Manolo. Contrairement aux clichés que certains pourraient avoir, les deux hommes gardent leurs distances, optent pour des expressions neutres, ne se laissent jamais impressionner par l’action. Ils confessent par ailleurs qu’il leur est parfois arrivé de copieusement s’ennuyer en photographiant des couples en plein ébat pendant des heures. Faire de la pornographie ne les intéressent pas. Ils ne veulent d’ailleurs pas que leur fanzine, bien qu’assumé comme érotique, ne soit commercialisé dans des sexshops. Ils ne veulent pas que l’on considère que ce qu’ils font c’est « vendre du sexe ». Pour eux ce qui compte plutôt c’est célébrer la sexualité, le corps, le masculin avec leur touche artistique.
Le documentaire, en faisant défiler de nombreuses photographies, met l’accent sur quelques-uns des aspects les plus évident du travail de Paco et Manolo : la force et l’authenticité de leurs portraits, un sentiment de mélancolie et de solitude, un goût prononcé pour le travail en intérieur qui permet d’entrer en profondeur dans l’intimité du quotidien d’une part et d’autre part les séances photos en extérieur, idéalement dans la nature, dans des lieux parfois abandonnés qu’ils se plaisent à dénicher.
Pour les artistes c’est la passion de la photographie, l’attrait pour la beauté masculine, pour les rencontres avec des garçons qui ont chacun une nouvelle histoire et un univers, le plaisir de créer sans savoir à cela quoi va toujours mener. Et pour les modèles ? Ils sont plusieurs à évoquer dans le film ce que le fait de poser leur apporte. Capturer à jamais un bout de leur jeunesse et de leur grâce, se sentir plus beau et plus fort, désiré et désirable, le plaisir d’être regardé, vu, le plaisir de se lâcher à travers un exercice hors du temps et qui sera figé pour toujours.
À la fois captivant pour ce qu’il montre et raconte sur la photographie, Tout à la fois est aussi l’histoire d’un couple pas forcément conventionnel qui brille par sa longévité et par une passion commune.
On en prend plein les yeux, cela transpire l’amour de l’art sous toutes ses formes, et cela fait du bien de voir tous ces corps se libérer. Comme c’est le cas avec le fanzine, sur le grand écran le travail photographique se dévoile sans censure (à l’inverse de réseaux sociaux qui brident de plus en plus la création artistique). À l’instar des clichés de Paco et Manolo, le film est doux, sensuel, n’a pas peur de regarder un homme nu et d’aimer ça, favorise les rencontres et les échanges et fait l’effet d’une chaude caresse pleine de bienveillance.
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Film produit en 2021 et présenté lors de la 27ème édition du Festival Chéries Chéris