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Vendredi sur Mer « Métamorphose » : émotions fortes
Depuis ses tous premiers morceaux, Vendredi sur Mer n’a jamais déçu. La voici à l’étape fatidique du deuxième album avec le bien nommé Métamorphose. La curiosité et l’attente étaient énormes après la réussite totale que constituait son disque inaugural, Premiers émois, génialement produit par le surdoué Lewis Ofman.
Premiers émois posait les bases de l’univers de Vendredi sur Mer, dévoilant une artiste à l’univers pop et lascif, aux mélodies entêtantes et colorées oscillant entre electro, kitsch et italo disco vintage, le tout avec un ravissant parlé-chanté gainsbourien. Super sexy et fun, les morceaux réjouissaient avec des paroles sentimentales, une écriture joueuse et charnelle. L’univers visuel fascinait autant que la musique avec une série de clips très esthétiques signés de la vidéaste Alice Kong. Enfin, en live celle qui répond au nom de Charline Mignot à la ville régalaient ses milliers de fans avec une scénographie atmosphérique et queer, des chorégraphies génialement cool et décalées.
Quand sonne l’heure du second album, les artistes se retrouvent souvent face à un choix possiblement cornélien : faut-il opter pour la continuité et donner aux fans exactement ce qu’ils attendent et ceux à quoi on les a habitués ? Faut-il céder aux diaboliques maisons de disques (on exagère à peine) et tenter d’être plus mainstream que jamais avec un disque archi-produit et plus commercial pour faire danser les foules ? Ou bien décide-t-on de n’en faire qu’à sa tête et d’y aller à l’envie et à l’instinct et tant pis si on perd quelques fans en cours de route… Il semblerait que Vendredi sur Mer ait été plutôt attirée par cette dernière option. Son public était tombé amoureux de son parlé-chanté charismatique ? Elle décide de beaucoup plus chanter sur ses nouvelles pistes. Les foules réclamaient de nouveaux hymnes sexy cool au charme rétro ? Elle s’oriente vers des horizons plus sombres et mélancoliques. Le titre de la galette ne ment pas : on est bien ici face à une métamorphose. Et tout cela semble assez logique, limpide : après tout, quand elle est arrivée sur la scène française Vendredi sur Mer a imposé son propre style et ses codes. Il n’y a rien d’étonnant à ce que sa forte personnalité artistique l’amène à se réinventer, à prendre des risques. Audacieuse et aventureuse, elle a bien fait de suivre son instinct car à l’écoute de Métamorphose l’évidence s’impose : c’est une grosse claque !
La métamorphose se fait ici en douceur : si certains titres tranchent franchement avec ce qu’on avait pu entendre par le passé, on retrouve quand même l’ADN de Vendredi sur Mer. Des textes qui ont cet impact immédiat, instantané. Une écriture qui évoque sans détour le désir et le plaisir, teintée de poésie, qui impose une figure féminine forte et affranchie, une amoureuse passionnée, une conteuse iconique, parfois détachée et désabusée, parfois plus vulnérable et nostalgique. Le parlé-chanté fait de la résistance, on retrouve les petites punchlines lucides sur les atermoiements du coeur qui font sourire car elles sont toujours si justes. L’aspect sexy et charnel ne s’estompe pas. Mais la mutation est bien enclenchée. Comme le cycle imprévisible de la vie, Vendredi sur Mer semble ici muter de morceau en morceau, avançant un coup, reculant un autre, gâtant ses fans de la première heure tout en se permettant de les bousculer. C’est comme si à chaque piste Vendredi sur Mer se remettait en jeu, se redéfinissait et c’est très beau à découvrir et à écouter. Car l’artiste aura beau se métamorphoser à toutes les sauces, on réalise qu’elle a définitivement ce truc bien à elle qui fait que peu importe l’atmosphère ou les arrangements, on reconnait son style et on l’aime, on reste sous le charme, envoûtés.
Contrairement à Premiers émois, Métamorphose a été réalisé en studio. Et là où le premier disque pouvait éventuellement placer Vendredi sur Mer en muse (la muse d’un seul producteur, la muse d’une artiste vidéaste), ici il n’y a aucune ambiguïté : Charline Mignot a pris le contrôle. Elle se veut plurielle, multiple et s’est entourée de plusieurs artistes aussi prestigieux que pointus parmi lesquels Sam Tiba, Myd ou Apollo Noir.
Avant la sortie de l’album, Vendredi sur Mer avait révélé deux singles : Comment tu vas finir, dansant, sorte de prolongement plus électro-techno des créations qui l’avaient précédé, puis Le lac, ballade « en chanté » et désenchantée dont la sensibilité exacerbée ne manquait pas de faire mouche. Si on n’a pas fini de danser en écoutant ce projet comme nous le rappelle l’hyper catchy et euphorisant Monochrome (peut-être l’un des titres les plus pop de son autrice jusqu’ici, véritable tube en puissance taillé pour séduire un vaste public), Métamorphose constitue une sorte de choc car il nous entraîne vers des recoins plus sombres, inattendus, très personnels, aux émotions denses.
Il émane de l’ensemble un côté « fleurs du mal », un doux poison poétique, une noirceur entêtante et obsédante, d’irrésistibles fièvres. On part parfois très loin, comme si on sortait de notre propre corps.
Plus affirmée que jamais, s’appuyant sur une production à la fois archi-maitrisée et délicieusement sinueuse et stimulante, Vendredi sur Mer nous aspire dans son univers et nous renverse complètement. Car s’il y a une chose que l’on retient de Métamorphose c’est que c’est un album très sensible et surtout très émouvant. On n’était pas prêt pour ça et à de nombreuses reprises le nouveau son de cette artiste tant aimée ici bouleverse, prend aux tripes et fait monter les larmes aussi bien par la force d’une écriture qui sonne comme une évidence que pour des sonorités qui attrapent le corps et le coeur pour une infinité de sensations et d’émotions.
Le voyage est parfois presque cosmique, on se perd dans les limbes de l’imaginaire, on se laisse submerger par nos souvenirs, nos démons et nos obsessions. Entre une flopée de titres qui naviguent entre spleen et rythmes up tempo (Déçue, Mâle à l’aise, Capable de toi), une ballade volontairement épurée pour renforcer son caractère très à fleur de peau (S’il est), une parenthèse joliment conceptuelle et dépourvue de mots (Silence), surgissent de véritables bombes musicales.
Si ce nouvel opus est une splendeur totale et une franche réussite du début à la fin, ici il y a quatre morceaux qui ont eu un effet particulièrement renversant sur l’auteur de ces lignes.
Dormir constitue une sorte d’apogée de la nouvelle Vendredi sur Mer, un pont parfait entre deux mondes, entre le parlé-chanté et le chanté tout court, entre les contes et fables sentimentales scandées en mode diva intemporelle et les envolées synthétiques et électrisantes. On se perd dans ces vagues mélodiques qui mouillent nos yeux quitte à en faire jaillir des torrents de larmes.
Désabusée récolte sans mal la palme du morceau le plus surprenant. Ce duo avec Sam Tiba fait l’effet d’une danse infernale des corps. Abrasif, ensorcelant et supra hot.
Dis-moi nous colle aussi bien la chiale que le grand frisson. Quelle magnifique surprise que cette collaboration entre Vendredi sur Mer et le génialissime Duñe (aka le génial artiste et producteur derrière ce chef d’oeuvre qu’était l’album Hundred Fifty Roses) ! Ce dernier chante ici pour la première fois en français et l’ensemble est d’une beauté et d’un lyrisme renversants. L’effet d’un titre de comédie musicale d’une autre planète, comme un joyau qui aveugle de sa lumière en pleine fin du monde. D’une sophistication délicate, épurée comme le sont les choses les plus essentielles : c’est l’impressionnante prouesse de ce disque grandiose.
Enfin, on quitte Vendredi sur Mer avec ce qui est ni plus ni moins sa plus belle ballade jusqu’à présent : la somptueuse Lettre à moi-même. Plus que jamais, les mots, l’écriture de Charline Mignot nous éblouissent et nous touchent droit au coeur. On reste soufflé, poils hérissés, sonné. « Retiens-moi je suis prête à imaginer l’après » lance la chanteuse. Si on est forcément curieux d’en entendre encore et encore plus, il y a définitivement quelque chose qui nous retient dans cette Métamorphose. Quelque chose qui fait qu’à peine les dernières notes du morceau final achevées, on a envie de replonger au Lac inaugural et rester bloqué dans l’univers obsédant de cette artistique unique. Un album-boucle dont on ne veut plus s’extraire. Vite, le live !