FICTIONS LGBT

SEBASTIAN de Mikko Mäkelä : doubles

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Après le drame sentimental Entre les roseaux, le réalisateur finlandais Mikko Mäkelä revient avec une proposition radicalement différente avec SEBASTIAN, portrait d’un garçon de 25 ans mi-écrivain mi-escort. 

Londres. Max (Ruaridh Mollica), 25 ans, est un beau jeune homme à l’apparence boy next door lisse qui aspire à devenir écrivain. Les choses se goupillent bien pour lui : il couvre l’actualité littéraire en freelance pour un prestigieux magazine et prépare une interview de Bret Easton Ellis, ses nouvelles sont publiées dans de prestigieuses revues et il a déjà une éditrice prête à sortir son premier roman qu’il est en train d’écrire. Ce premier roman racontera l’histoire d’un personnage nommé Sebastian. Un escort boy. Max dit avoir choisi ce sujet après avoir rencontré des étudiants et des jeunes travailleurs du sexe exerçant ce métier sans honte, presque avec fierté. Ce que Max ne dit pas, c’est que l’histoire de Sebastian est en réalité la sienne : il loue ses charmes depuis quelques temps à une clientèle d’hommes séniors via un site d’escorting en ligne et s’inspire de ses expériences pour nourrir son premier livre. 

Cette double vie va peser petit à petit sur son quotidien. Quand il se prostitue, Max se fait appeler Sebastian, devient son personnage, s’autorise liberté et subversion qu’il retranscrit ensuite dans son manuscrit en utilisant la troisième personne. Mais Sebastian n’est pas qu’un double fictionnel et il prend de plus en plus d’importance. Max, qui tient à écrire une oeuvre qui ne soit pas un énième portrait misérabiliste de l’escorting, a « honte d’avoir honte » de faire ce qu’il fait. La vérité c’est que même quand l’on est un écrivain évoluant dans un microcosme qui se dit ouvert d’esprit, il n’est pas évident d’assumer. Max redoute le regard des autres, de ne plus être un écrivain parlant de prostitution mais un prostitué écrivant un roman. Il n’a pas envie de perdre la considération de ses pairs, voir le regard des autres changer sur lui, décevoir sa mère assez traditionnelle. Les frontières entre réalité du quotidien et fiction vont se brouiller de plus en plus, amenant irrémédiablement Max à devoir faire des choix. 

sebastian film mikko makela

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Le réalisateur Mikko Mäkelä surprend avec ce nouveau long-métrage très différent de son précédent aussi bien dans le fond que dans la forme. Tout le film baigne dans une certaine ambiguïté, nous balade dans une infinité de zones de gris. Max est un mystère pour le spectateur autant que pour lui-même. Au fil du métrage, on le voit repousser ses limites, se chercher, s’apprivoiser. L’escorting est comme un nouvel univers, un monde caché qui ouvre des territoires de fiction exaltants autant qu’ils peuvent chambouler voire mettre en péril le quotidien. 

Encore et toujours très stigmatisé, moqué, déconsidéré, conspué, le travail du sexe n’a jamais cessé dans le même temps de fasciner. Car il touche au corps, à l’intime, au fantasme, autant qu’il brise ,par une parenthèse tarifée, la solitude. Quand Max devient Sebastian, il se met en danger, navigue en eaux troubles, tout semble pouvoir arriver. Comme ses clients le lui font remarquer, il n’est pas un escort comme les autres. Il est plus sensible, plus subtil, plus câlin, érudit, il donne réellement de sa personne au-delà du sexe. Il ne procure pas qu’une prestation mécanique, il offre de la compagnie, de la tendresse, de l’humanité. Et c’est cette partie qu’il va mettre en avant dans son roman et que ce long-métrage explore : la zone de floue qui peut exister entre un escort et un client. Parfois, voire souvent, même s’il s’agit d’une « commande », ça connecte, quelque chose se passe. Et même si le travailleur du sexe doit se préserver et éviter tout sentimentalisme, il ne peut nier que des instants qui « sonnent vrais » surviennent pendant ces rendez-vous payants. 

sebastian film mikko makela

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La belle idée du film est de préserver à la fois le mystère de son personnage et du livre qu’il écrit. Sebastian trouve-t-il du plaisir et de l’excitation dans ce qu’il fait ? S’en sert-il pour vivre tranquillement ? Pour nourrir son inspiration ? Trouve-t-il une forme d’épanouissement à rencontrer tous ces hommes vieux et seuls en manque de tendresse et de contact ? Les réponses sont rares, jamais explicites au contraire des images (comme pour nous dire que derrière l’aspect cru se cache quelque chose de plus profond, de plus riche et nuancé). 

Ce qui se matérialise à l’écran, outre les hauts et les bas du quotidien propre à un travailleur du sexe (les bonnes et les mauvaises rencontres, les clients qui peuvent péter un plomb, la tentation du chemsex), c’est le dialogue, la connexion entre un jeune homme de 25 ans et des séniors qui par cette mécanique tarifée se rencontrent, donnant lieu à une forme de transmission. 

La mise en scène, très intimiste, tantôt brute tantôt feutrée, reste au plus près de son personnage aussi magnétique qu’énigmatique. Dans le rôle principal, le comédien Ruaridh Mollica marque profondément, déployant son charme, obsédant, composant un personnage qui ressemble à ces garçons dont la beauté extérieure et la sensibilité vous font chavirer et vous consumment tant leur lumière peut briller fort au point de vous embraser. 

Par sa subtilité, son recul, sa finesse vis à vis de son sujet, son caractère hyper sensible et étonnamment sensuel, Sebastian est une totale réussite qui émeut et entête. 

Film produit en 2024 et présenté au Festival Chéries Chéris 2024 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3