
FICTIONS LGBT
QUEER de Luca Guadagnino : passion gay vertigineuse
Réalisateur désormais très côté, Luca Guadagnino, auteur entre autres de Call me by your name et Challengers, nous emporte dans une nouvelle romance entre deux hommes avec Queer, adapté de l’oeuvre très personnelle de William S. Burrough. Le résultat est un grand film de cinéma, très particulier et marquant.
Mexico, années 1950. William Lee (Daniel Craig), écrivain à la dérive, passe ses journées à se saouler ou à se droguer. Il mène une existence totalement dissolue. Quand il ne se défonce pas pour oublier son vertige de vivre, il traîne avec son ami gay coquin Joe (Jason Schwartzman) ou arpente les bars où des rencontres avec de jeunes mâles deviennent possibles (de façon plus ou moins tarifées).
Dandy destroy, William ère un peu comme une âme en peine, de cuite en cuite, de bar en bar. Et voilà qu’un jour il aperçoit Eugene (Drew Starkey), un magnifique jeune homme blond « de la Navy ». Eugene est une véritable apparition : visage sublime, corps parfait, d’une rare élégance. William est fasciné et instantanément obsédé par lui. Un soir, Eugene lui parle, semblant le trouver sympathique. Ils commencent à se voir régulièrement, à boire des verres ensemble. William brûle de désir pour lui et se demande s’il pourrait avoir une chance de le mettre dans son lit. Pas facile à deviner : Eugene est ambigu, nonchalant, envoie des signaux contradictoires et passe beaucoup de temps avec Mary (Andra Ursuta), une femme avec qui il aime jouer aux échecs.
Et puis une nuit Eugene se retrouve chez William et ils couchent ensemble. A cet instant, William exulte, il se sent vivant comme il ne l’avait plus été depuis longtemps. Malheureusement, les jours et les semaines qui suivent, Eugene est distant, fait comme s’il ne s’était rien passé de spécial voire l’évite. William finit par lui proposer de lui payer un voyage (voire de le payer tout court) en échange de sa compagnie et de quelques « faveurs ». D’abord réticent, Eugene finit par accepter et les deux hommes partent en Amérique du Sud. Là-bas, William mène son enquête pour tenter de trouver un accès au Yage (une sorte d’ayahuasca) dont il a entendu dire qu’il avait des pouvoirs télépathiques. S’il venait à en trouver il espère pouvoir lire dans les pensées d’Eugene et peut-être l’amener à l’aimer comme lui l’aime…




Le moins qu’on puisse dire est que Luca Guadagnino est un cinéaste passionnant qui n’a de cesse de se renouveler : Amore, ses remakes A bigger splash et Suspiria, Call me by your name, sa série We are who we are, son étrange romance canibale Bones and all ou Challengers… Autant d’oeuvres très différentes et chacune passionnante à leur façon avec toujours une mise en scène épatante. Ici, comme beaucoup, on considère que Call me by your name est son chef d’oeuvre jusqu’alors. Bonne nouvelle : Queer est son meilleur film depuis Call me by your name et s’il est nettement plus clivant et différent, il devrait parvenir à marquer au fer rouge bon nombre de cinéphiles.
Il faut parler de la forme de l’ensemble qui est absolument magnifique. La façon de filmer Mexico, les lieux (les bars où on se saoule et se déprave ou bien où l’on comate après une nuit agitée, les appartements désordonnés, les motels miteux) impressionne. C’est à la fois superbe, avec un zeste de crasse cette fois. Luca Guadagnino a ce talent de trouver et de faire ressentir de la beauté à pratiquement tout et n’importe quoi, à insuffler du romantisme et de la nostalgie dans un lit cracra ou du linge entâché de semence.


Le filmage est superbe et digne des plus grands films, le style évolue au fil du métrage, s’autorisant des ruptures de ton et d’esthétique, nous faisant naviguer entre réalité, passages oniriques, cauchemardesques, surréalistes ou hallucinatoires. Un labyrinthe existentiel qui va de pair avec une passion dévorante pour un jeune playboy dont la beauté plastique étourdissante dévore de l’intérieur ceux qui s’y intéressent de trop près.
La relation, ambigue, entre William et Eugene est au coeur de l’ensemble. Elle renforce les frustrations de William et son côté auto-destructeur autant qu’elle constitue un espoir de porte de sortie, un paradis qui échappe du bout des doigts. William et Eugene sont un peu tout à la fois au fil du long-métrage : amis, amants, compagnons de voyage ressemblant à un père et son fils, figures d’un amour impossible. A une époque où l’homosexualité était vécue de façon compliquée, William, homme d’addictions, s’accroche à l’objet inaccessible de son désir et cherche par tous les moyens à le garder auprès de lui. Face à lui, Eugene reste une énigme. Possiblement bisexuel, refusant de l’admettre ouvertement, à la fois attiré et révulsé par lui.
A Mexico montrée comme un refuge de marginaux où on peut s’oublier et se défoncer à bas coût toute la journée, succède l’Amérique du Sud puis un trip dans la jungle pour le moins surprenant (avec une démente Lesley Manville en botaniste à qui on ne la fait pas).


Il y a quelque chose de vraiment fascinant dans le brio qu’a Luca Guadagnino de mélanger les atmosphères, les ambiances, les décors, les styles, les tons avec une incroyable maîtrise. Queer nous emmène souvent loin, arrive à la fois à être romantique, touchant, profondément dramatique, drôle, diablement sensuel, crade, somptueux… Il convoque de nombreux fantômes de cinéma anciens ou récents avec une maestria qui peut laisser bouche bée notamment lors de scènes d’intimités profondément marquantes (la première étreinte entre William et Eugene mais aussi le passage avec le Yage qui donne lieu ni plus ni moins à quelques unes des plus belles images d’amour queer jamais vues sur grand écran). Le dernier plan nous laisse avec de gros frissons.
Assez bien articulé pour ne pas perdre le spectateur et assez abstrait pour proposer à chacun une expérience profonde et très personnelle, Queer à l’instar du personnage d’Eugene fait l’effet d’un ravissant poison qui fait tourner la tête. Déjà l’un des plus beaux films de 2025 et on ose le dire comme à l’époque pour Call me by your name : un chef d’oeuvre.
Sortie au cinéma le 26 février 2025