FICTIONS LGBT
CARAVAGE ET MOI (Postcards from London) de Steve McLean : un rêve queer arty
Deuxième long-métrage du réalisateur Steve McLean (après Post Cards from America), Caravage et moi (Postcards from London en VO) est un film atmosphérique où l’art se mêle avec brio à la beauté masculine.
Soho, Londres. Jim (Harris Dickinson) débarque de sa petite campagne et rêve de se réaliser dans cette grande ville où tous les rêves semblent permis. Mais dès le premier soir, c’est la galère : il peine à trouver un endroit où dormir et se fait voler son argent.
Il entre dans un club et se voit propulsé dans un nouvel univers hors du temps en faisant la rencontre de 4 très beaux garçons qui décèlent en lui un fort potentiel pour rejoindre leur bande de « raconteurs ». Derrière cette appellation qu’ils se donnent, les beaux mâles monnaient leur charme avec des clients raffinés et férus d’art tout en leur faisant la conversation et en partageant leur savoir quasi encyclopédique sur les artistes queer. Selon eux, Jim semble sortir tout droit d’un tableau du Caravage et ils sont persuadés qu’il va faire sensation.
Un peu naïf et surtout pas mal perdu, le nouvel élément n’est pas certain de comprendre où il met les pieds. Tandis que ses camarades n’en finissent plus de citer leurs icônes, lui ne connait rien au monde de l’art. Mais sa curiosité est grande, sa sensibilité toute particulière et très vite il va se nourrir de toutes les références qu’on lui donne et se plonger à coeur et à corps perdu dedans.
En l’espace de quelques semaines, Jim se coupe de la réalité et devient une légende locale. En un temps record le voilà érudit, passionné, gagnant progressivement en force et en caractère. Mais la sensibilité qui le porte va s’avérer être à double tranchant : le garçon va en effet découvrir qu’il est atteint d’un mal mystérieux, le syndrome de Stendhal. Le trop plein de beauté des tableaux l’amène à trembler, à tomber dans les pommes et à plonger dans des rêveries aux allures incroyablement réalistes où il a l’impression de revivre les mises en scène des plus grands artistes et du Caravage en particulier…
Ce n’est pas un film ordinaire, c’est le moins qu’on puisse dire, et c’est ce qui fait tout son charme. Caravage et moi n’est en rien réaliste ou linéaire, joue complètement la carte de l’onirisme et de la fantaisie pour nous plonger complètement ailleurs.
Le réalisateur Steve McLean tisse son propre monde, hors du temps, porté par son amour contagieux pour la peinture, l’art baroque mais aussi tout un tas de figures pluridisciplinaires queer inspirantes et cultes (sont cités, au hasard, Joe Dallesandro dans les films de Paul Morrissey, Fassbinder, Pasolini, Bacon ou le film My Own Private Idaho). C’est comme si le cinéaste avait mis tout ça dans un shaker pour produire son propre Querelle à lui, dans un Londres d’aujourd’hui mais complètement nostalgique.
Pour les spectateurs qui aiment s’abandonner devant des oeuvres originales, cette proposition atypique s’avère être un régal total pour les yeux. Pour les beaux garçons qui jouent volontairement les muses (Harris Dickinson en tête) mais aussi et surtout pour la mise en scène, étonnante, très créative, baroque et pop à la fois, oscillant entre raffinement et kitsch avec toujours le même souffle. Pendant tout le métrage, on est un peu comme le personnage principal : on ne sait pas trop où l’on va mais on est envoûtés, on peine de plus en plus à distinguer le vrai du faux, le rêve de la réalité.
L’ensemble fait l’effet d’un léger et doux poison enivrant. La tête tourne, le corps exulte, chaque rencontre est une surprise. S’il joue très bien avec les oppositions et une certaine dualité, l’auteur Steve McLean véhicule surtout ici un je ne sais quoi qui a le parfum de l’infini. Il se fait une joie d’exploser les cases, de mêler les arts, de détourner les clichés. Il transforme des garçons marginaux en érudits bohèmes irrésistibles, rend ce qui est le plus sordide en trip esthétique magnifique. Comme pour nous dire que dans la vie tout repose sur le regard que l’on porte aux choses et la puissance de l’imaginaire.
C’est complètement inclassable, attachant, constamment stimulant visuellement. Une invitation à un rêve queer très loin du réel et du rationnel : ici on dit oui oui oui !
Film produit en 2018 et désormais disponible en France en DVD aux éditions Outplay et sur Outplay VOD