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CARAVAGGIO de Derek Jarman : Caravage intime

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Le jeune Michelangelo Merisi da Caravaggio se rend à Rome après son apprentissage. Il y mène une vie de petit voyou, tentant de vendre ses tableaux, usant de sa beauté  juvénile pour dépouiller des hommes âgés aux intentions floues. Hospitalisé, il fait la rencontre du Cardinal del Monte qui tombe sous son charme et son talent brut. Il le prend sous sa protection, tente de l’éduquer et lui permet de disposer des moyens nécessaires pour devenir un artiste.

Le temps passe et les toiles audacieuses du Caravage intriguent et lui permettent de vivre confortablement. Tout bascule quand le regard du peintre croise celui de Ranuccio (Sean Bean). Irrésistiblement attiré, il fait tout pour se rapprocher de lui. Le fait que ce dernier soit déjà en couple avec une femme, Lena (Tilda Swinton, dont c’est le premier rôle au cinéma) ne le freine pas dans son élan. Il appâte Ranuccio grâce à son argent, l’amène à poser pour lui. Peu à peu se dresse un triangle ambigu et sensuel entre le couple, qui se prostitue, et l’artiste. La passion du talentueux Caravaggio va l’amener progressivement à se perdre…

caravaggio derek jarman

Avec Caravaggio, Derek Jarman livre le contre-exemple parfait du biopic académique. La vie du peintre italien qui a révolutionné la peinture du XVIIème siècle est ici l’occasion pour le cinéaste de plonger son spectateur dans une expérience de cinéma totale. L’action se situe en Italie mais les personnages sont interprétés par un casting anglais, les anachronismes sont légion (on voit une moto, un camion, des ampoules, ça fume…), la vie, sujet à polémique et diverses versions, du sujet prend la forme d’un énorme fantasme. Ce qui intéresse Jarman est visiblement de rendre hommage aux œuvres puissantes et audacieuses du Caravage, à travers des tableaux en action. Il s’attarde sur la matière, l’acte créatif, l’érotisme éclatant des corps. Et Caravaggio de devenir la toile abstraite d’un étrange et vénéneux triangle sensuel.

Dans le film on voit Le Caravage prendre sous son aile un petit garçon incapable de parler, un peu attardé : Jerusaleme. Il sera le compagnon silencieux et affectueux de l’artiste devenu homme. Au cœur d’une Italie pleine d’intrigues où la fureur de la rue s’oppose à l’hypocrisie et aux manipulation de l’Eglise, où la soif d’argent ou simplement le désir de survivre peuvent parfois pousser au pire, Michelangelo Merisi da Caravaggio tombe sous le charme du blond charnel Ranuccio. Un homme dont la brutalité et l’érotisme sauvage le ramènent à ses pulsions les plus enfouies. Ranuccio semble d’abord accepter sa compagnie seulement dans le but de lui soutirer de l’argent. Mais peu à peu se dessine un véritable trouble. Pas moins ambigu, Caravaggio finit par séduire la compagne de l’objet de son désir, Lena, attisant sa jalousie. Mais Lena est-elle vraiment une amoureuse sincère ?

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En tant que spectateur, il est plus facile de s’abandonner et de se laisser emporter par le choc esthétique de cette proposition de cinéma que d’essayer de discerner le vrai du faux. Se détacher du réel, de ce que l’on peut savoir, pour succomber au visuel et au sensoriel. C’est en effet par les sensations que Derek Jarman dresse son portrait fantasmé du Caravage qu’il dépeint comme un homme tourmenté, passionné, parfois brutal, très fidèle à ses valeurs. D’un point de vue formel, le spectacle est époustouflant tout en restant dans une relative épure. Le texte, extrêmement poétique, est brillant. On a l’impression d’être au cœur d’une rêverie, parfois violente, on se laisse bousculer par l’étrange narration, les réactions primaires et surprenantes des différents protagonistes. Le film provoque quelque chose de physique, souterrain, quasi-indescriptible, sur la beauté de la vie et son caractère implacable, sur l’amour, le désir, les rapports de force, les différences entre les classes, la dévotion, l’art. Une œuvre vigoureuse et pleine de mystère, dont il faut assurément de multiples visions pour en saisir toutes les subtilités.

Film sorti en 1986 et disponible en DVD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3