FICTIONS LGBT
COBALT BLUE de Sachin Kundalkar : premier amour gay et déchirures en Inde
Les films à thématique gay indiens ne sont pas légion et Cobalt Blue a pu bénéficier d’une belle exposition grâce à une sortie mondiale sur Netflix. Ce récit d’apprentissage est l’adaptation d’un livre (et son auteur n’est autre que le réalisateur de ce long-métrage) et il peut faire penser par son atmosphère à une variation de Call me by your name.
Kerala, années 1990. Tanay (Neelay Mehendale) est un jeune homme qui se rêve en artiste. Sa famille, très portée sur les traditions, accepte ses aspirations artistiques sans trop poser de questions car il est un bon élève, appliqué et discret. Au Kerala, qui a des allures de petit paradis, Tanay n’a pas vraiment d’amis et vit un peu dans son monde. Il est proche de sa soeur rebelle, Anuja (Anjali Sivaraman), garçon manqué, qui rêve d’indépendance et d’échapper aux projets de mariage imposé de ses parents en faisant carrière dans le hockey qui est un sport où elle excelle.
Alors que le grand-père de Tanay et Anuja décède, la grande chambre qu’il occupait dans la maison familiale se libère. Il est décidé que la chambre sera louée afin de faire rentrer un peu d’argent. Quand le locataire arrive, il n’échappe à personne qu’il est un très bel homme. La petite trentaine, un corps de rêve, beaucoup de confiance en soi et artiste de surcroit. Tanay, qui refoulait et cachait son homosexualité jusqu’alors, est instantanément troublé. Il est à la fois attiré physiquement par cet homme plus âgé et affirmé que lui mais aussi fasciné par son univers d’artiste pluridisciplinaire (il peint, photographie, est féru de tous les arts).
Rapidement, jour après jour, Tanay passe tout son temps à squatter la chambre du locataire ou à l’attendre. Ils vont finir par entamer une relation secrète. Mais voilà qu’un jour, au même moment, le locataire disparait et Anuja aussi. Les parents de Tanay pensent qu’ils ont fui ensemble…
Si l’on pense facilement à Call me by your name c’est pour la mise en scène romantique et nostalgique, un travail prononcé sur la couleur, toutes les formes d’art qui entourent les personnages, une bande-originale composée avec soin et bon goût, la fascination d’un garçon en fin d’adolescence pour un homme plus âgé, la façon de filmer le Kerala de façon magnifique et de faire de la maison de Tanay (et la chambre du locataire en particulier) un personnage à part entière. Comme le film devenu culte de Luca Guadagnino, on a envie de vivre dans Cobalt Blue. Et clairement son auteur cite ce long-métrage, osant même un petit clin d’oeil fruité à un moment donné…
S’il est évidemment difficile de se comparer à une oeuvre qui a été d’emblée lors de sa sortie considérée comme un chef d’oeuvre et que Cobalt Blue ne parvient pas vraiment à se hisser aux mêmes niveaux de beauté et d’intensité, il n’en est pas moins un film très attachant et réussi. Il apporte surtout une touche toute personnelle par la singularité d’une certaine culture indienne qui prend beaucoup de place dans l’intrigue. Les couleurs, la cuisine, les tenues et matières sont sublimées en opposition au lourd poids des traditions. Et si l’aspect romance s’avère déterminant dans le déroulement de l’intrigue, le long-métrage de Sachin Kundalkar explore d’autres territoires, plus graves et sombres.
La difficulté d’être gay dans ce petit coin de paradis qui finit par faire de la vie un enfer (avec pour exemple le personnage déchirant d’un professeur dans le placard campé avec beaucoup de nuances par l’excellent acteur Neil Bhoopalam). L’amour pour sa famille qui peut parfois pousser à aller à l’opposé de ce que l’on sait être ce qui nous rendra vraiment heureux. Progressivement, Tanay et Anuja vont comprendre qu’il ne sera pas aisé pour eux de poursuivre leurs rêves et que s’ils souhaitent s’émanciper ils risquent de devoir le faire contre leur famille qui refusera toujours de comprendre leur singularité, étant trop attachés aux traditions. Le personnage d’Anuja, très périphérique au départ, va prendre beaucoup plus de place dans une deuxième partie nettement plus dramatique et sombre que ce à quoi on aurait pu s’attendre.
Loin d’être une simple variation indienne de Call me by your name donc, Cobalt Blue décrit à la fois la force des premières passions (et des premières déchirures du coeur) que la quête d’émancipation d’un jeune gay et de sa soeur dans un contexte aimant en apparence mais bel et bien profondément rétrograde et castrateur dans les faits. Entre sensualité, amertume et combats, l’ensemble ne manque pas d’intensité et peut compter sur une mise en scène certes « sous influence » mais bien maitrisée.
Film produit en 2022 et disponible sur Netflix