FICTIONS LGBT

DISSIDENCE de Philippe Vallois : essayer

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Auteur d’une oeuvre vaste et aux multiples facettes, Philippe Vallois est un peu le patron français d’un certain cinéma indépendant gay. A l’occasion du 26ème Festival Chéries Chéris de Paris, le réalisateur a révélé Dissidence, un long-métrage documentaire réalisé pendant le confinement de 2020 à partir de vidéos tournées dans les années 1990. 

Le film a pour point de départ le déchirement de la perte pour Philippe Vallois de son grand amour, l’écrivain Jean Decampe, emporté comme hélas beaucoup de gay à l’époque des années 1980-1990 par le Sida. Lui aussi séropositif, Philippe Vallois a pour sa part encore l’espoir de survivre. Il fait la rencontre à l’hôpital Laennec du Professeur Jean-Marie Andrieu. Tandis que de nombreux médecins sont complètement largués par une épidémie qui les dépasse, le chercheur n’entend pas rester là à ne rien faire. Il lance des essais thérapeutiques clandestins qu’il propose à plusieurs dizaines de patients séropositifs après avoir découvert que la prescription de cortisone pouvait de façon surprenante aider à renforcer le nombreux de T4 chez les malades. 

Contrairement à la majorité des professionnels du corps médical, le Professeur Andrieu se permet, au coeur d’une période exceptionnellement ravageuse pour les personnes foudroyées par le Sida, de braver les règles. Définitivement pas comme les autres, il tutoie ses patients, tissent avec eux un lien qui souvent peut donner lieu à des amitiés, refuse de baisser les bras face à des protocoles à la longueur excessive et ose jouer avec les limites de la légalité pour suivre ses intuitions. Un jeu évidement dangereux aussi bien pour lui qui va être conspué par beaucoup de ses pairs et pris pour cible par beaucoup d’associations que pour ses patients qui n’ont pas vraiment d’autre choix que de le suivre aveuglément. 

dissidence film philippe vallois

Alors que Philippe Vallois prenait la décision d’être l’un des participants de cet essai thérapeutique, le professeur Andrieu a accepté de se laisser filmer le temps de longs entretiens, souvent dans l’intimité de son cabinet ou lors de ses déplacements. A l’origine, l’objectif était de faire un film pour la chaîne de télévision Arte. De façon surprenante, le chercheur se livre sans filtre, sans langue de bois, dévoilant à la fois son obstination, sa dévotion à ses patients, son besoin d’agir face à l’urgence mais aussi ses doutes, ses angoisses. Car face à l’énorme point d’interrogation que représentait l’épidémie, des certitudes il n’y en avaient tout simplement pas. 

Ce que le film fait ressentir, c’est l’urgence et la panique qui animaient les personnes infectées. Beaucoup ont appris qu’ils avaient le virus et mourraient quelques mois après. Quand on se dit qu’on n’a plus rien à perdre, pourquoi alors ne pas tenter de prendre un chemin de traverse, surtout quand aucune réelle alternative ou espoir ne se profile à l’horizon ?.Philippe Vallois s’est donc lancé dans cet essai fou et possiblement dangereux, se disant qu’au pire si ça ne marchait pas il retrouverait au ciel son amour perdu qui traverse et hante le film avec les photos et vidéos faisant éclater sa beauté et sa jeunesse emportées trop tôt. 

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En plus d’apporter un angle inédit et méconnu sur cette période des « années Sida », Dissidence voit sa portée décuplée, la situation pouvant faire écho à l’épidémie de Co-vid et le côté anti-conformiste du Professeur Andrieu pouvant rappeler un certain Professeur Raoult. Lors du débat qui a suivi la projection, Philippe Vallois a tout de même tenu à souligner que selon lui les deux hommes n’avaient au final pas grand chose en commun. Car pour lui le Professeur Andrieu était quelqu’un de beaucoup plus doux, tourné vers les autres, à l’écoute, moins « sec » et imbu de lui-même. 

Si le montage est à l’évidence biaisé par la relation amicale personnelle qui s’est tissée entre Philippe Vallois et le chercheur (et c’est ce qui en fait aussi son intérêt), il parvient toutefois à montrer à la fois tout l’humanisme et la passion d’Andrieu mais aussi ses zones d’ombres. Il y a des moments assez tétanisants où il semble dépassé et où Philippe Vallois redoute d’avoir suivi tête baissée un « savant fou » qui pourrait l’amener droit vers la mort. Au final, l’oeuvre se refuse de trancher et préfère laisser les interprétations ouvertes et générer des interrogations et discussions. De façon très personnelle et et incarnée, l’oeuvre offre un portrait d’une personnalité du monde médical à part et le lien d’amitié et de confiance, rare, qui se tisse entre le chercheur et son « cobaye », le réalisateur et son sujet. C’est passionnant de bout en bout. 

Le titre du film fait évidemment référence à l’acte de dissidence du Professeur Andrieu mais aussi à la vision de ce dernier qui explique à un moment qu’il se sent comme « un dissident qui aide les dissidents », ayant une tendresse non dissimulée pour les marginaux toxicomanes et homosexuels de l’époque, victimes collatérales d’un virus transformant l’existence en cauchemar morbide.

Film présenté au Festival Chéries Chéris 2021

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3