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ERNESTO de Salvatore Samperi : adolescence et choix

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Adaptation libre du livre de Umberto Saba, Ernesto est une de ces pépites oubliées du cinéma italien, racontant l’éveil des sens et l’éducation sentimentale d’un jeune homme à la beauté foudroyante. Un drame joliment imprévisible.

Trieste, 1911. Ernesto (Martin Halm) vit la fin de son adolescence en se rêvant en violoniste. Il vit chez son oncle et sa tante, avec sa mère (Virna Lisi). Cette dernière a été abandonnée par son mari alors qu’elle était tombée enceinte, ce qui fait hautement tâche dans la société de l’époque.

Tandis que son oncle ne jure que par l’argent et les relations, Ernesto se plait à se revendiquer socialiste. Renvoyé de son école, il doit tout de même travailler pour assurer sa place et celle de sa mère chez son oncle qui ne plaisante pas. Ainsi encadre-t-il des ouvriers sur des chantiers divers et mal payés. C’est là qu’il rencontre un séduisant docker d’une trentaine d’années (Michele Placido). Ce dernier est instantanément envoûté par la beauté angélique du garçon et lui fait discrètement des avances. Commence une liaison secrète à travers laquelle Ernesto découvre la sexualité entre hommes mais seulement en tant que passif, le docker lui expliquant qu’il n’y a pas d’intérêt à prendre de « vrais hommes » et qu’il est plus naturel de vivre ce genre de plaisirs cachés avec des garçons imberbes et sans poils…

Au fil de leurs rendez-vous, le docker se laisse de plus en plus ensorceler par la grâce d’Ernesto. Mais ce dernier est tiraillé entre ses pulsions, les valeurs qu’il pense avoir et les codes imposés par la société. S’il aime jouer les insolents et marginaux, Ernesto n’a pas envie de se retrouver exclu, de faire scandale et porter préjudice à sa mère, d’être envoyé en prison ou condamné (l’homosexualité étant alors fortement réprimée). Il essaie alors de tenter sa chance avec une prostituée et réalise qu’il est bisexuel. Cela va largement influer sur ses rapports avec son docker énamouré qui vont devenir de plus en plus cruels.

En parallèle, Ernesto se rapproche d’un garçon un peu plus jeune que lui, Ilio (Lara Wendel) et qui à l’évidence est sous son charme. Il lui donne des cours de violon et joue à son tour le rôle de l’initiateur. Le début de cette nouvelle passion et l’incursion de la soeur jumelle du garçon, Rachele (Lara Wendel qui joue le rôle du garçon et de la fille), vont progressivement faire basculer son quotidien…

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Le début du métrage fait penser à un miroir inversé de Call me by your name. Ou l’éveil sentimental et charnel d’un bel adolescent érudit par un homme plus âgé. Comme dans le film de Luca Guadagnino, l’homosexualité est ici un secret, ne peut pas être vécue ouvertement en société et se retrouve court-circuitée par les normes. Sauf qu’ici nous sommes dans l’Italie rurale de 1911, que l’homme plus âgé est un docker sans le sou aux ongles sales et que l’adolescent est tiraillé entre sa condition modeste mais qui ne le condamne pas (sa mère est légèrement en disgrâce mais son oncle chez qui il vit a de l’argent et du pouvoir) et sa soif de s’affranchir et de vivre libre comme il l’entend.

Mais tout cela ce n’est que le début du film et si au départ on s’attend à assister à une puissante romance cachée et potentiellement déchirante (la passion est au rendez-vous lors des premières scènes entre Ernesto et son bel ouvrier), les choses évoluent de façon complètement imprévisibles.

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Le long-métrage déploie tout un tas de rapports de force absolument fascinants. Il y a déjà ces rapports entre différentes classes et l’arrière-plan social du film : le docker appartient à cette catégorie d’ouvriers payés une misère et à qui on ne laisse aucun choix tandis qu’Ernesto parvient à flirter avec la haute société. D’emblée le rapport entre l’adolescent et son amant plus âgé ne se fait pas sur un pied d’égalité. Ernesto le domine en quelque sorte socialement. Mais le docker a l’ascendant sur l’intime, lui faisant découvrir les plaisirs gays en se posant en initiateur à la fois tendre et dominant. Ainsi Ernesto découvre-t-il que pour avoir moins mal, ceux qui se donnent à un homme utilisent du beurre de cacao…

La romance contrariée entre ces deux personnages est passionnante car elle évoque en plus de son parfum de scandale (un trentenaire avec un adolescent), un jeu du dominant-dominé, un choc de classes et est enfin le reflet d’une homosexualité qui alors ne peut être vécue que de façon clandestine. Il n’y a pas de doute sur les sentiments que portent Ernesto sur son amant expérimenté. Il en est très épris au départ. Les choses se corsent quand le jeune éphèbe passif demande à être actif à son tour. Le docker n’en a pas envie et son explication montre à la fois une homosexualité qui reste honteuse et aussi une certaine perversité : selon lui, on ne prend que des garçons lisses et il n’y aucune raison à ce qu’un garçon comme Ernesto prenne un homme plus âgé. Cela bride l’impétueux lolito et il n’aime pas ça ! Par ailleurs, alors qu’il découvre que des poils poussent sur son visage, il panique : cela le condamnerait-il a ne plus pouvoir être désiré par son fervent partenaire ?

S’il peut paraître jeune et influençable au début, Ernesto est loin d’être un minet naïf. Et le docker va le découvrir à ses dépends. Adolescent cultivé et de plus en plus sûr de lui, il va étonnamment prendre le dessus sur son amant et témoigner d’une cruauté inattendue.

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Ambivalent et envoûtant, Ernesto se cherche, explore, entre traditions et marge, hommes et femmes, envie d’être intégré et de suivre ses propres envies. La deuxième partie du métrage le plonge au coeur d’un triangle sentimental tordu entre deux jumeaux. Ernesto reproduit ce qu’il a appris dans les bras de son docker et y ajoute sa petite touche de dandy. Ilio et Rachele deviennent fous de lui.

L’oeuvre part joyeusement dans tous les sens et surprend à plusieurs reprises, guidée par le charme tantôt angélique tantôt diabolique de son personnage principal qui cherche sa place dans la société, bien conscient de ses failles mais aussi de ses atouts… A noter que le jeune héros ambigu a dans sa chambre plusieurs cages à oiseaux. Défenseur de la liberté, Ernesto aime curieusement enfermer ces animaux qu’il aime tant. Evidemment les cages à oiseaux font écho à sa propre situation : on a site vite fait de se retrouver enfermé…

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Doté de véritables pics de sensualité, d’une certaine perversité aussi, Ernesto, à l’image de son comédien principal Martin Halm a un caractère obsédant. C’est beau et cruel à la fois, ironique et presque tragique par moments. La mise en scène est douce, l’écriture souvent acérée et le réalisateur Salvatore Samperi délivre ici un portrait d’adolescent dans toute sa complexité, ses paradoxes, jusqu’à un dernier plan dont la nonchalance de façade masque à peine une hypocrisie et un cynisme tristement intemporels. Une vraie pépite.

Film produit en 1979 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3