FICTIONS LGBT
HEAT de Paul Morrissey : Joe Dallesandro et les has been
Joey Davis (Joe Dallesandro) est une ancienne star du petit-écran. Il a joué dans un show qui s’appelait « Le grand ranch ». Après avoir été deux ans dans l’armée, il a connu un certain passage à vide. Le voici de retour, près d’Hollywood, où il squatte un petit hôtel/résidence avec piscine en espérant faire des rencontres importantes et avoir des nouvelles de son maudit agent. La résidence est tenue par Lydia (Pat Ast), une femme ronde et vieillissante qui est instantanément emballée par l’arrivée de Joey qu’elle suivait avec plaisir à la télévision. Légèrement envahissante, Lydia a souvent des problèmes pour se faire payer ses nuits et loyers. Elle menace ainsi constamment Jessica (Andrea Feldman) une de ses plus fidèles locataires, de la mettre à la porte si elle ne la paie pas en temps et en heure. Certains clients et locataires bénéficient eux de remises spéciales. Joe en obtiendra une en acceptant de se laisser masser et de lui donner du plaisir.
La résidence est peuplée de gens pour le moins farfelus. Il y a donc Jessica, fille de Sally Todd (Sylvia Miles), une star has been qui avait tourné avec Joey. Déséquilibrée, Jessica vit dans sa chambre avec sa petite amie Bonnie (Bonnie Walder) et son bébé dont elle ne s’occupe guère. La relation des deux filles est particulière, Bonnie étant plutôt sadique et aimant par exemple écraser ses cigarettes sur le corps de sa compagne…Complètement à l’ouest, endettée, Jessica passe son temps à soutirer du fric à sa mère richissime et un peu radine. Finalement, Jessica se liera plus ou moins d’amitié avec Joey et lui présentera Sally avec qui il entamera une liaison, se disant qu’elle pourra lui présenter des contacts importants.
Dans les parages de la résidence, on trouve également deux frères qui ont monté un show de night club (une sorte de performance sexuelle durant laquelle ils dansent et font du sexe ensemble devant tout le monde !). A noter qu’un des deux frères est attardé et passe son temps à s’astiquer en public. Le quotidien de Joey va basculer alors qu’il acceptera d’emménager dans la grande demeure de Sally. Forte en apparence, la star vieillissante se révèle complètement névrosée et hystérique, lui rendant la vie impossible de par ses incessantes crises de jalousie. Et alors que Jessica revient dans les parages, décrétant qu’elle n’est plus lesbienne et qu’elle a envie du sexe de Joey, tout part en vrille…
Heat nous éloigne de New-York pour nous plonger dans les alentours d’ Hollywood où des stars d’hier essaient de revenir sur le devant de la scène. On sait à quel point Andy Warhol (producteur de la trilogie Morrissey) était fasciné par la célébrité et son caractère éphémère. Paul Morrissey expose ici avec beaucoup d’humour et de mordant la certaine déchéance de deux anciennes stars du petit écran. Si Sally semble faire enfin le deuil de sa carrière (mais beaucoup moins celui de sa jeunesse), Joey lui est prêt à tout pour retrouver sa gloire d’antan. Le moins que l’on puisse dire c’est que le jeune homme a les dents longues, capable de forniquer avec la grosse tenancière de sa résidence pour avoir une réduction ou de se plonger dans une relation avec une femme qui a deux fois son âge histoire d’élargir son carnet d’adresses. Pour peu, il accepterait presque de participer au show incestueux des deux frères de la résidence…
Plus statique que Flesh et Trash, Heat met en scène des personnages peut-être moins paumés mais nettement plus névrosés. Joe Dallesandro hérite cette fois d’un rôle plus banal, il est un peu notre point de repère, l’observateur de l’excentricité, de la mégalomanie et de la folie des gens qui peuplent les environs. Et dans le genre barré, on est sacrément gâtés avec le personnage de Jessica campé par la génialissime Andrea Feldman. Incroyable et improbable créature de cinéma, la jeune femme avec sa voix si singulière (qui casse instantanément les oreilles) et son regard noir à glacer le sang génère directement la fascination et provoque une certaine hilarité. Cette fille, ce personnage, c’est la folie incarnée. Mère célibataire, lesbienne, allumeuse, manipulatrice, hystérique, passant en une seconde des larmes au rire le plus effrayant du monde, devenant soudainement addict au sexe masculin, caressant un jeune homme demeuré ou aimant se faire toucher par des chaussures : on reste sans voix face à ce personnage, ce freak show qui relève de la performance.
Petit à petit, Heat devient une sorte de n’importe quoi géant où tout le monde s’emmêle les pinceaux face à un Joey qui finit par comprendre qu’il s’est embarqué dans une belle galère. Rapports de force et manipulations sous le soleil californien : sans aucun doute le segment le plus drôle et le plus allumé de la Trilogie Morrissey.
Film sorti en 1972 / Disponible en DVD