FICTIONS LGBT
HOLLYWOOD : rêves et minorités dans la nouvelle série de Ryan Murphy
Ryan Murphy a travaillé sur de nombreux et très beaux projets de séries parmi lesquels Nip/Tuck, Glee, American Horror Story, Pose, The Politician ou encore la géniale mini-série American Crime Story sur l’assassinat de Versace. Il revient au format mini-série avec Hollywood (et retrouve au passage une nouvelle fois l’acteur Darren Criss). Et c’est peut-être là l’une de ses plus belles créations, racontant avec son ton devenu très identifiable l’âge d’or des studios de cinéma et le sort pas tendre du tout réservé par ces derniers aux minorités.
Jack Castello (David Corenswet) a une illumination alors qu’il se trouve dans une salle de cinéma : il veut devenir acteur. Comme des centaines de personnes, il vient tenter sa chance aux portes des studios Ace, espérant commencer par de la figuration. Hélas, malgré son physique de bogosse, il n’est pas remarqué. Alors qu’il broie un peu du noir dans un bar, il est approché par Ernie (Dylan McDermott), propriétaire d’une station-service qui selon ses dires cartonne. Il recherche des pompistes sexy et pense que Jack a du potentiel.
Le jeune homme qui a bien du mal à boucler ses fins de mois et aimerait offrir à sa compagne enceinte une vie meilleure finit par se laisser tenter. Il découvre toutefois que la station-service n’est pas du tout ordinaire : quand les clients demandent aux pompistes un voyage à « Dreamland », ces derniers proposent des services d’escort. D’abord choqué et prêt à claquer la porte, Jack cède à l’appel de l’argent facile et connait un vif succès.
Et puis voilà qu’Ernie essaie de lui faire faire des passes avec des clients masculins. 100% hétéro, Jack songe une nouvelle fois à tout abandonner avant de trouver dans un cinéma pour adultes un jeune gay prêt lui aussi à monnayer ses charmes : Archie Coleman (Jeremy Pope). Il rejoint l’équipe. Archie se rêve en scénariste et vient de boucler « The Peg », l’histoire tragique d’une actrice déchue d’Hollywood. L’héroïne est de couleur blanche pour ne pas braquer les studios convaincus qu’un film fait par des personnes noires et / ou avec des personnes noires est voué à l’échec commercial. Un jeune réalisateur ambitieux, Raymond Ainsley (Darren Criss), a lu le scénario et va tout faire pour tenter de le faire produire. Mais le fait qu’Archie est un scénariste noir risque de poser problème : Raymond, qui cache lui-même ses origines philippines, le sait bien. Il vient de voir un beau projet qu’il avait à coeur de défendre et qui offrirait un rôle en or à l’actrice asiatique Anna May Wong (Michelle Krusiec) se faire rejeter en raison des origines de la comédienne…
En attendant que les choses progressent, Archie travaille à la station et tape dans l’oeil d’un jeune client, un acteur homo dans le placard, Roy (Jake Picking). Ce dernier se voit proposer d’être représenté par un des meilleurs agents d’Hollywood, Henry Wilson (Jim Parsons) qui décèle son homosexualité et lui propose de l’aider à se viriliser et à améliorer son jeu d’acteur : il pense que Roy a du potentiel pour devenir une star. La proposition n’est pas faite sans contrepartie : s’il veut être représenté par Henry, Roy comprend qu’il va devoir lui accorder des faveurs sexuelles. Refusant de tourner le dos à son rêve si proche du but, il accepte et sur les conseils d’Henry change de nom : il sera désormais « Rock Hudson ».
Les semaines passent et suite à un concours de circonstances, Raymond Ainsley voit le projet de réalisation de « The Peg » se confirmer. Il va devoir batailler pour qu’Archie ne voit pas son nom supprimé au générique. Jack Costello, qui sans le savoir avait comme clientes des femmes influentes de Ace Studios se voit proposer un contrat d’acteur et passe le casting pour « The Peg ». Il va être en concurrence avec Rock Hudson. Alors que le patron de Ace Studios tombe malade et que son épouse, plus progressiste, est désignée pour le remplacer temporairement, Raymond essaie de lancer le pari fou de mettre en tête d’affiche de son film sa petite amie très talentueuse, Camille (Laura Harrier). De couleur noire, celle-ci ne s’était vue proposer jusqu’alors que des rôles de servantes. Si elle venait à accéder au premier rôle, cela pourrait changer l’histoire d’Hollywood et de la représentation des personnes noires à l’écran…
Pour les fans de l’âge d’or d’Hollywood et du cinéma des années 1940-50, cette série est un régal qui suscite fascination et nostalgie. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les grandes majors américaines ont fait rêver des millions de spectateurs avec de nombreux chef d’oeuvres et des actrices et acteurs devenus mythiques. Mais si l’on y regarde de plus près, c’était une période sacrément hypocrite et terrible pour les minorités. Il n’était pas question d’envisager un réalisateur ou scénariste noir ou asiatique si l’on voulait éviter le scandale. Guidés essentiellement par l’objectif du profit, les studios ne voulaient pas prendre le risque de se mettre à dos les circuits de salles, pour certains ouvertement racistes et capables de boycotter des sorties voire tout le line up d’un studio si celui-ci venait à décider de mettre en avant des artistes qui ne seraient pas blancs ! Ainsi retrouve-t-on le personnage d’Archie sur le point de voir l’histoire qu’il a écrite être adaptée pour le grand écran sans que son nom soit crédité au générique. Le réalisateur Raymond Ainsley cache ses origines philippines. La brillante actrice asiatique Anna May Wong est constamment sur la touche malgré son énorme talent. Et la jeune Camille à qui on laisse entendre qu’elle est la meilleure des comédiennes sous contrat de Ace Studios n’hérite que de rôles de servantes pour lesquels on lui demande qui plus est de forcer le trait, de se caricaturer, d’être une version ridicule d’une personne noire pour faire rire le public… La honte.
Tous les dirigeants font mine de regretter la situation et prétextent être impuissants face à quelque chose de plus grand qu’eux. Ils ne veulent pas bousculer les codes ou prendre de risques, refusent d’entendre qu’ils ont pourtant entre leurs mains le pouvoir de faire avancer les choses, de les changer.
Alors que les personnages d’Archie et Camille luttent et se prennent en pleine face le racisme ambiant, en arrière-plan la série raconte l’homosexualité vécue dans la clandestinité. Archie a quelque part droit à la double peine, à la fois noir et gay. Si les homosexuels sont nombreux en coulisses (postes décisionnaires, réalisateurs, acteurs, agents), ils vivent tous cachés. Ainsi la station-service du charismatique Ernie connait un vif succès. On l’invite même dans des soirées mondaines très privées où il est chargé de ramener des garçons pour permettre aux gens influents d’Hollywood de finir la soirée en bonne compagnie.
Avec une certaine franchise, cette nouvelle création de l’audacieux Ryan Murphy montre comment les gays influents, qui portaient en eux la haine d’eux-mêmes, faisaient du mal autour d’eux, notamment auprès des jeunes acteurs homosexuels. Rock Hudson est pris en exemple, complètement soumis à son agent manipulateur Henry Wilson. Il lui promet d’être une star mais il lui vole tout son être, lui déconseillant fortement de vivre une histoire d’amour, l’abusant sexuellement, lui faisant changer de nom, de posture et même ses dents ! La série s’appuie sur beaucoup de vérités concernant l’acteur Rock Hudson même s’il faut quand même dire qu’ils se sont lâchés sur ce pauvre Rock qui passe vraiment ici pour un grand niais sans charisme (certes il était connu pour être naïf à ses débuts et avoir eu des débuts difficiles mais là ils ont vraiment beaucoup forcé le trait – quand on est fan de l’acteur on est un peu perplexe).
La grande idée du show est de mêler personnages et situations réelles et totale fiction. Hollywood se permet ainsi progressivement de réécrire l’histoire en nous plongeant sur le tournage du film « The Peg » qui se transforme en « The Meg » et va voir les minorités prendre leur revanche et enfin accéder à la lumière. Le dernier épisode est extrêmement émouvant, reflet de tout ce qu’Hollywood aurait pu être si ses dirigeants n’avaient pas été aussi frileux (et implicitement si tout n’avait pas toujours été entre les mains d’hommes peu progressistes / notons qu’ici si le changement intervient c’est avant tout parce qu’une femme prend à un moment donné la direction du studio). Peut-être que le monde entier aurait avancé bien plus vite sur les questions du racisme et de l’homophobie. Sans doute beaucoup de jeunes gays n’auraient pas été rejetés de chez eux et n’auraient pas vécus dans la honte si des modèles inspirants avaient été mis en lumière…
C’est peut-être là au fond le projet le plus militant de Ryan Murphy qui l’air de rien égratigne férocement l’image des majors américaines, machines à rêves qui aujourd’hui encore sont si peu modernes. On a l’impression qu’on commence à peine à voir des success stories de réalisateurs noirs et nous sommes en 2020 soit entre 70 et 80 années après la période de la série. Et à l’heure actuelle, aucun grand acteur hollywoodien n’a fait son coming out, n’affirme son homosexualité en donnant une image positive, fière.
C’est triste à dire en tant que fan de cinéma mais il faut bien avouer qu’Hollywood est encore profondément tourné vers le passé et peu ouvert là où les séries témoignent d’une vraie modernité : les trames LGBT et l’inclusion des personnes de couleur sont nettement plus fortes dans les séries mainstream que dans les blockbusters, les acteurs de séries ne cachent pas leur homosexualité et cela ne les empêche pas de tourner ou de jouer des personnages hétéros (exemple de l’acteur Jonathan Groff qui est passé de « Looking » à « Mindhunter » sans problème). Et enfin les séries n’en finissent plus de créer de nouveaux univers, des concepts, là où les majors américaines recyclent encore et toujours des franchises (mais ça c’est un autre sujet).
Forte de par son militantisme, Hollywood est aussi et surtout un excellent divertissement avec des personnages très attachants campés par des acteurs tous magnifiques, des premiers aux seconds rôles. On y retrouve ce mélange d’élégance de la mise en scène, ce caractère pop et sexy dont Ryan Murphy a fait sa marque. Il y a beaucoup d’humour, de beaux mecs, des répliques acides et cela n’empêche en rien à l’ensemble d’être souvent très émouvant. Il émane enfin une belle humanité, avec des personnages riches en nuances : même les pires crapules peuvent toujours au final se repentir, même les plus arriérés peuvent à un moment donné ouvrir leur esprit… Engagée, originale, fédératrice : cette oeuvre sérielle a tout du petit chef d’oeuvre.
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