L’ARCHE DE NOÉ de Bryan Marciano : refuge et nuances 

By Gaspard Granaud | 24 mars 2024

Bryan Marciano, réalisateur de la très attachante série Vingt-cinq, signe son premier long-métrage avec L’arche de Noé. Un film qui nous propulse dans le quotidien d’une association (inspirée par Le Refuge) qui vient en aide aux jeunes LGBTQIA+ rejetés par leurs familles. 

Alex (Finnegan Oldfield), un jeune homme qui a le chic pour se mettre dans de mauvais draps, doit effectuer des travaux d’intérêt généraux. Il va passer quelques temps au sein d’une association en aide aux jeunes LGBTQIA+ rejetés par leurs familles. Dès son arrivée, il est à la fois sonné et intrigué par la bande de jeunes haute en couleurs qui vit entre les murs du bâtiment associatif. Un lieu bruyant où règne vite la cacophonie et le désordre mais aussi et surtout débordant de vie. 

Chaque résident a son histoire propre et pour point commun de s’être vu flanqué hors du domicile familial en raison de son identité ou orientation sexuelle : des filles trans, un jeune homme traumatisé et avec des tocs car ses parents l’enfermaient de force dans sa jeunesse, de jeunes gays qui ont grandi dans des familles religieuses et fermées d’esprit… L’association leur vient en aide en leur proposant un toit, de l’écoute, une bande avec qui cohabiter. Le temps de cette aide est toutefois compté : ils ont 6 mois pour rebondir, fonder un projet professionnel et voler de leurs propres ailes. 

Rapidement, Alex, qui est hétéro, trouve un écho dans ces jeunes qui comme lui sont dans une situation d’errance et victimes d’un noyau familial éclaté. Il va notamment s’attacher à un nouveau résident aussi jeune que fragile. Doté d’un tempérament de feu, très spontané, ayant tendance à agir de façon impulsive parfois sans réfléchir, le bad boy en pleine rédemption va un peu semer le trouble au sein de l’asso qui avait jusqu’alors sa petite routine. Il a du mal à comprendre la distance émotionnelle que s’imposent « la cheffe » de l’association, Noëlle (Valérie Lemercier) ainsi que l’employée de celle-ci, Elodie (Elsa Guedj). Les semaines passant, Alex va petit à petit comprendre leur positionnement : quand on travaille dans cet endroit, il faut avoir les épaules solides et ne pas trop s’attacher. Chaque personne est dans une situation de détresse et un certain nombre de résidents auront beaucoup de mal à s’en sortir. 

Entre moments de joie et de communion furtifs, espoirs, désillusions, injustices et coups du sort, Alex va passer par toutes les émotions… et peut-être se découvrir une vocation. 

Avec sa faculté à nous plonger en immersion dans une association et d’en faire un personnage à part entière de l’intrigue et une précision qui peut faire penser au genre documentaire, L’arche de Noé se positionne dans un certain courant social du cinéma français. Bryan Marciano, qui jusqu’alors était un auteur spécialisé dans les dramédies, adopte ici un ton plus grave, plus sérieux. Et si sa mise en scène reste de facture assez classique, la façon d’aborder cette histoire, cette association, ces personnages, étonne. Le cinéma social français a tendance à être souvent intelligent et « bon élève » avec des discours humanistes qui fonctionnent souvent même s’ils peuvent être parfois un poil attendus. Ici, le regard n’est pas forcément toujours tendre et ne cherche jamais à édulcorer / embellir la réalité. Il a un côté cru, brut de décoffrage qui est très intéressant. 

La galerie de protagonistes est volontairement éclectique pour aborder plusieurs thématiques, montrer comment toute la communauté LGBTQIA+ peut être victime de rejet et de discriminations. Et chaque personnage a peut-être un itinéraire et but commun (ne serait-ce que celui de simplement s’en sortir) mais se distingue par une personnalité propre, singulière, parfois un peu agaçante, parfois irrésistiblement attachante. 

Bryan Marciano ne cherche pas ici à marteler un message mais donne à voir ce que lui a pu observer en faisant son film. L’arche de Noé est une photographie à un instant T de cette association, avec ses hauts et ses bas, ses petites victoires et ses grandes tragédies, ses nombreux doutes mais aussi l’élan et la beauté de l’entraide. 

On perçoit toute la difficulté des jeunes qui ont du mal à s’insérer dans la société, à quitter l’association qui a un côté cocon pour eux alors que le monde extérieur peut-être si brutal par moments. Hélas, les moyens sont limités, les places sont chères et pour essayer de sauver le plus de jeunes possibles, l’asso ne propose son aide que 6 mois. 

Avoir la vie de jeunes brisés entre ses mains pour 6 mois n’est pas aisé. Il faut prendre le relai de parents absents sans y mettre trop d’affect, fixer un cadre, essayer de déclencher de bonnes décisions tout en restant réaliste. En meneuse, Valérie Lemercier est loin de la caricature qu’on aurait pu attendre. Elle peut paraitre austère et froide par moments mais on la comprend de plus en plus au fil du métrage. C’est un peu le paradoxe de cet univers associatif : être là car on a envie de tendre la main, d’aider, et être obligé de ne pas trop s’engager émotionnellement non plus car les ressources sont limitées et que l’on ne peut malheureusement pas sauver tout le monde. 

Plutôt que de nous servir un film fédérateur, facilement feel good, Bryan Marciano préfère les nuances et la complexité de la réalité et nous laisse réfléchir par nous-mêmes alors qu’il nous montre les bons et les mauvais jours de cet espace intranquille, toujours sur la tangente. 

Film sorti en 2023 et disponible en VOD