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LE PARADIS de Zeno Graton : enfermement, amour, poésie

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Avec le film Le paradis, le réalisateur Zeno Graton nous entraîne dans un centre fermé pour mineurs délinquants et raconte l’amour naissant de deux ados rebelles. Douceur et romantisme inattendu. 

Joe (Khalil Gharbia), 17 ans, est sur le point de quitter le centre pour mineurs délinquants où il a été enfermé. Taciturne et discret, il ne fait pas de vagues, mène un quotidien solitaire, un peu à l’écart des autres détenus qui l’acceptent malgré tout. 

Comme la majorité des « pensionnaires » de l’établissement, Joe étouffe et il lui tarde de retrouver sa liberté et de ne plus être comme un poisson à tourner dans un bocal. Tout le monde ici est invité à ré-apprendre les bons comportements et à songer à une douce réinsertion. Les encadrants, Sophie (Eye Haïdara) et Ilyas (Jonathan Couzinié), oscillent entre pédagogie et fermeté pour tenter de remettre sur le droit chemin des jeunes en colère et à l’évidence esquintés par la vie et la société. 

Alors qu’il ne reste plus que peu de temps à Joe entre ces murs assez ternes voilà que débarque un nouveau, William (Julien De Saint-Jean). Couvert de tatouages, introverti, le regard puissant et rêveur… Lui et Joe se scrutent, l’intérêt et l’attraction opèrent instantanément. Au fil des jours, ils se rapprochent. Les sentiments sont aussi soudains, tus, qu’intenses. Le départ imminent de Joe s’annonce douloureux… 

le paradis film zeno graton

C’est le premier long-métrage du réalisateur belge Zeno Graton et c’est une belle promesse. Il mixe ici « film de prison gay » et romance entre deux rebelles adolescents avec beaucoup de douceur et de poésie. C’est subtil, les émotions et les sensations passent soit par la force des mots (toujours bien pesés et amenés) ou par les regards et les gestes. 

Et si on retrouve les codes de films traitant de l’homosexualité en prison (Un chant d’amour de Jean Genet apparait comme une référence assez évidente) et des films en milieu carcéral en général, le film s’émancipe avec un style propre qui a un parfum inattendu d’utopie. 

le paradis film zeno graton
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A l’inverse par exemple d’un Scum de Alan Clarke, Le paradis se refuse à mettre en scène des délinquants ultra violents et de nous faire vivre et ressentir ce qui serait un enfer. Si dire que ce que l’on voit est paradisiaque serait exagéré, il y a une grâce et quelque chose de tendre qu’on n’attendait pas au sein de cet espace fermé. Il y a entre les détenus quelque chose de l’ordre de la fratrie. Malgré les différences, ils sont tous solidaires, apparaissent soudés, liés par un destin commun compliqué. Pas de baston inutile, de harcèlement ou d’humiliations ici. 

Ce que Zeno Graton semble vouloir montrer c’est que derrière les gestes terribles et mauvaises actions (on ne s’attarde pas sur les raisons et motifs de la présence des jeunes au centre), il y a des âmes tourmentées, des êtres brisés qui font souvent les mauvais choix mais qui sont loin d’être foncièrement mauvais. Ils restent des êtres en construction, qui ont mal commencé mais qui peuvent encore avoir l’opportunité de rebondir. On ressent toutefois que tout n’est pas de leur côté : ils ont une sorte de graine du mal en eux, ils ont les mauvais réflexes et les mauvaises impulsions. 

Ce que cette oeuvre intimiste et délicate réussit, c’est de nous mettre totalement en empathie avec les protagonistes, les montrer comme des ados-enfants dont la vulnérabilité reste palpable. On a envie qu’ils s’en sortent. 

le paradis film zeno graton

Côté forme, le cinéaste fait le pari plutôt audacieux d’insuffler de la beauté dans le quotidien des délinquants. Le centre n’est pas insalubre et semble plutôt confortable, tout le personnel semble super prêt à aider et accompagner ces « jeunes en difficulté », on les initie aux métiers manuels et on les encourage aussi à s’exprimer et stimuler leur imaginaire. 

Zeno Graton ne tombe pas du tout dans un homo-érotisme macho qui peut être tentant dans ce genre de cadre et préfère opter pour une atmosphère cotonneuse et sensuelle. Le paradis n’est pas dénué de fétichisme (les petites tenues / uniformes qui collent à merveille aux garçons) mais celui-ci est très tendre. L’oeuvre se détache des pulsions pour aller plutôt vers l’émotion, un mal d’amour qui demande à être pansé (plusieurs plans montre les délinquants câlinés par leurs proches lors des visites). 

le paradis film zeno graton
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Au sein de cet univers original et où s’invite un espoir rafraichissant, la romance naissante entre les sensibles et mélancoliques Joe et William fait tout de suite mouche. Les choses sont amenées avec pudeur, avec une sorte de pureté de coeur très touchante. Les deux comédiens principaux sont magnifiques et filmés avec beaucoup d’amour. Ils confirment tous les deux être de très belles révélations (Khalil Gharbia est magnifique, sa beauté et son spleen irradient chaque plan – il tirait déjà son épingle du jeu dans le plus faible Peter Van Kant de Ozon / Julien de Saint-Jean embrasse pour sa part un nouveau rôle de rebelle sentimental qui lui va comme un gant, quelques mois après la sortie du vibrant Arrête avec tes mensonges). 

Premier amour et poésie au rendez-vous donc dans ce film qui a toute de la jolie surprise. Devant et derrière la caméra, que des talents à suivre. 

Film sorti au cinéma le 10 mai 2023 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3