FICTIONS LGBT

PETER VON KANT de François Ozon : pari risqué

By  | 

Le toujours très prolifique François Ozon revient en quelque sorte à ses premières amours avec Peter Von Kant, adaptation de la pièce et film de Fassbinder Les larmes amères de Petra Von Kant. Si le pari semblait d’emblée risqué (l’oeuvre originale de Fassbinder étant un monument et une totale réussite), le choix d’en faire une variation gay intriguait et nous ramenait au souvenir de Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, une autre adaptation de Fassbinder par Ozon qui avait marqué la carrière du cinéaste. 

peter von kant film

Tout en gardant la structure et l’atmosphère du modèle original, François Ozon y apporte des modifications en même temps que son propre style en tant que réalisateur. Là où Petra Von Kant suivait une femme diva évoluant dans le milieu de la mode et tombant amoureuse d’une jeune aspirante mannequin aux dents longues, ici Peter Von Kant est un cinéaste gay qui va faire rimer amour et souffrance avec un jeune comédien. 

Le choix de l’acteur Denis Ménochet dans le rôle principal d’un cinéaste n’est pas anodin et son apparence et son look renvoient à l’image de Fassbinder lui-même. En plus d’adapter une de ses oeuvres, Ozon délivre donc une sorte de portrait fantasmé de cet auteur qui l’a à l’évidence beaucoup inspiré. Pour ceux qui connaissent un peu la personnalité de Fassbinder, les échos à son propre personnage et son histoire sont assez flagrants. 

peter von kant film

Pour ce qui est de l’histoire : on suit donc Peter Von Kant (Denis Ménochet), réalisateur reconnu mais qui a l’air de manquer un peu d’inspiration et de souffle alors qu’il peine à se remettre d’une récente rupture. Il traîne chez lui et se repose sur son assistant très soumis, Karl (Stefan Crepon), qui essaie d’écrire pour lui un nouveau projet. 

Pas en grande forme, Peter reçoit la visite de sa vieille amie et ancienne muse Sidonie (Isabelle Adjani). Si le portrait de cette dernière apparait en grand dans l’appartement de l’auteur, on devine que leur relation amicale n’est pas franchement saine. A la complicité se mêle une forme d’étrange rivalité, une multitude de non-dits, de l’envie, de la jalousie, une mesquinerie pas vraiment feinte. Après sa visite à Peter, Sidonie avait prévu de voir Amir (Khalil Gharbia), un séduisant jeune homme désireux de se faire une place dans le monde du spectacle. Ce dernier vient la chercher directement chez Peter et l’intrigue instantanément par sa fraicheur, sa jeunesse, sa beauté. L’artiste vieillissant lui propose de repasser le voir plus tard, lui laissant entendre qu’il pourrait l’aider dans ses aspirations. 

Quand Amir vient passer une soirée chez Peter, le coup de foudre se confirme pour le réalisateur qui pense avoir trouvé sa nouvelle muse mais qui aussi s’enflamme sentimentalement pour lui. Abusant de son pouvoir, il fait des avances qu’Amir accepte bien que l’on comprenne qu’il soit plutôt hétéro et que Peter n’est pas vraiment son genre. 

Les mois passent, ils font un film ensemble qui rencontre le succès et forment un couple. Mais voilà que désormais propulsé au rang de star, Amir n’a plus forcément autant besoin de Peter. Il semble un poil fatigué par ce gros nounours dégoulinant d’amour même s’il a une réelle affection pour lui. Malgré sa relation avec Peter, Amir est resté marié à sa femme vivant à l’étranger et confesse sans gêne tromper son compagnon avec des garçons de passage. De quoi rendre la situation électrique et amener Peter vers un nouvel enfer sentimental. 

peter von kant film

Il y a du bon et du moins bon dans ce long-métrage. Il souffre malheureusement de la comparaison avec son modèle original dont il ne parvient pas à retrouver l’intensité et la grâce. Bien qu’il donne tout, Denis Ménochet tombe parfois dans l’hystérie un peu lourde là où l’actrice Margit Carstensen était magistrale de bout en bout. Le propos initial perd de sa force aussi : on a plus l’impression d’assister à un film sur le vieillissement homosexuel, sur l’autodestruction d’un artiste narcissique archi névrosé qu’à une histoire universelle sur la rupture. Personnellement, si j’avais autant aimé Les larmes amères de Petra Von Kant c’est notamment car on y retrouvait et ressentait tout le vertige, les émotions contradictoires et folles qui peuvent aller avec une rupture. François Ozon met en scène cela également mais ça ne prend pas aux tripes cette fois. 

Malgré l’évidente maniaquerie apparente, il y a des maladresses dans certains dialogues et l’ensemble peut parfois être un poil éprouvant. L’aspect germanophile d’époque n’est pas super bien exploité. On ressort de la séance avec un peu un sentiment de « tout ça pour ça ? ». 

peter von kant film
peter von kant film
peter von kant film

Pour autant, le film n’est pas un échec. Il y a de belles choses et de bonnes idées, notamment de mise en scène. On serait tenté de dire qu’il s’agit là d’un hommage gay, fétichiste et homophile à Fassbinder et son oeuvre. Il y a de très beaux clins d’oeil aux différents arts (peinture, photographie, cinéma), les plans parfaitement composés sont nombreux. Khalil Gharbia est troublant d’érotisme et Stefan Crepon est assez génial dans son interprétation fantaisiste et queer de Karl. Mais surtout, Peter Von Kant semble être une bonne excuse pour le cinéaste de filmer enfin Isabelle Adjani qui revient ici  au top dans un rôle secondaire mais marquant. Elle bouffe l’écran et transcende chaque scène où elle apparait. Il y a quelque chose de touchant dans le fait de la revoir ainsi en grande forme, piquante et iconique. Connu pour son amour et son fétichisme des grandes actrices, Ozon est à son meilleur quand il s’amuse avec cette diva du cinéma français. Rien que pour ça ce Peter Von Kant mérite malgré tout le coup d’oeil. 

Film sorti au cinéma le 6 juillet 2022 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3