FICTIONS LGBT
LE PRÉDATEUR (El cazador) de Marco Berger : proies
Après le joli petit succès rencontré par son film Le Colocataire et une série de films articulés autour du « suspense du désir », Marco Berger change de style avec Le Prédateur (El cazador en VO, Young Hunter pour le titre international). Entre drame évoquant de sordides faits divers et thriller, un long-métrage dur sur un sujet sensible.
Ezequiel (Juan Pablo Cestaro) est un jeune ado gay qui est en quête d’une heureuse rencontre. Il n’a pas encore fait son coming out et espère pouvoir profiter du fait que ses parents lui laissent la maison familiale pendant un mois pour attirer des camarades chez lui et voir s’opérer un rapprochement. La maison est belle, il y a une piscine, on peut jouer à la console et Ezequiel a même un ou deux magazine(s) de charme histoire de provoquer un peu les choses… Mais tous ses camarades semblent hétéros, le rejettent et l’ado reste frustré.
Trainant dans un skatepark, Ezequiel y fait la rencontre de Mono (Lautaro Rodriguez), un garçon un peu plus âgé que lui et entreprenant. Pour une fois, quelque chose semble possible. Ils commencent à se fréquenter, couchent ensemble et un début de relation semble se profiler. Mono propose à Ezequiel de passer un week end dans la maison d’un membre éloigné de sa famille, Chino (Juan Barberini, découvert dans le film Fin de siècle) qui la lui laisse à disposition.
Ce week end qui aurait pu être idyllique va finalement être placé sous le signe de la tension, Mono semblant cacher des choses et Ezequiel se sentant étrangement observé. Ce dernier va se retrouver au centre d’une sombre affaire de chantage qui va l’amener à devoir faire des choix cornéliens pour son jeune âge et qui vont mettre à l’épreuve sa moralité.
Marco Berger semble renouer ici avec le genre du thriller dramatique sulfureux et ambigü qu’il avait déjà pu aborder avec son réussi film Absent. D’emblée, on comprend, notamment par le choix de la musique (parfois un peu trop appuyée), que la légèreté ne sera pas vraiment au programme.
Le Prédateur dresse le portrait sensible d’un ado gay un peu perdu dans le début de sa vie affective et sexuelle et montre à quel point parfois quand on est homo, se découvrir sans oser en parler à personne peut amener à s’exposer à de très mauvaises personnes. Il suffit d’être un peu naïf et vulnérable pour se retrouver pris au piège, les prédateurs n’étant jamais bien loin…
Partant du quotidien d’un ado solitaire malgré lui, déployant une histoire d’amour ambivalente et basculant dans le thriller moral, Le Prédateur est sans doute l’une des oeuvres les moins accessibles et facilement aimables de son auteur. Notamment dans sa dernière partie, l’atmosphère se fait très pesante, montrant de façon assez redoutable comment le destin d’un jeune homme innocent pourrait vite se retrouver brisé. Marco Berger joue ici avec les limites, interroge sur un sujet grave avec l’épure de mots qui caractérise son cinéma.
L’ensemble a ce je ne sais quoi d’un peu poisseux et dérangeant qui ne fera sans doute pas l’unanimité, la vision du métrage est assez inconfortable mais force est de constater que c’est pour le cinéaste une façon de proposer quelque chose de différent et que sa maitrise habituelle de la mise en scène nous tient une fois de plus en haleine en jouant toujours avec brio sur le non-verbal et la lenteur. Le talent est toujours là dans cette variation sur le choix entre le Bien et le Mal, tout en nuances, à un âge trop précoce.
Film présenté au Festival Chéries Chéris 2021