FICTIONS LGBT

LE TEMPS D’AIMER de Katell Quillévéré : des liens plus forts que tout

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Katell Quillévéré délivre avec Le Temps d’aimer un très beau mélodrame sur un drôle de couple dans la France d’après-guerre. Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste y sont merveilleux. 

Les premières scènes, en noir et blanc, montrent des femmes, « les poules à boches », qui sont humiliées, exposées à une foule déchainée qui crient alors qu’on leur rase le crâne pour avoir eu des relations avec des soldats allemands. Parmi ces femmes, il y a Madeleine (Anaïs Demoustier) qui doit porter sur ses épaules (et sans famille autour d’elle) le poids du scandale, d’autant plus qu’elle est enceinte d’un petit garçon issue de sa liaison.

Nous la retrouvons des années plus tard, élevant seule son enfant devenu un petit garçon, Daniel, travaillant comme serveuse dans un hôtel-restaurant sur une plage normande et logeant dans une chambre de bonne. Un jour, Madeleine fait la connaissance de François (Vincent Lacoste), un garçon de son âge un peu timide et maladroit, touché par une polio à l’une de ses jambes. Quelque chose se passe immédiatement entre ces deux êtres d’une grande douceur malgré les épreuves de la vie qu’ils ont dû affronter. Quand François avoue ses sentiments à Madeleine, elle lui révèle son lourd passé. Cela n’altère pas la tendresse qu’il a pour elle. Issu d’une famille riche, il l’emmène vivre à Paris avec Daniel. Ils se marient peu de temps après. 

Pensant que François constitue sa Providence, Madeleine réalise toutefois rapidement que si elle a été honnête avec lui, lui ne l’a pas tout à fait été. Un mystérieux inconnu menaçant surgit dans leur quotidien et il devient assez évident qu’il s’agit d’un amant. François a caché à celle qu’il a faite son épouse son attraction pour les hommes. Blessée, redoutant que celui avec qui elle vit et élève son enfant désormais ne puisse jamais l’aimer comme elle l’aurait espéré, Madeleine ne se désiste pas. Comme François est resté à ses côtés malgré son passé, elle va accepter cette part de lui. Ils vont à nouveau déménager pour aller gérer un dancing à Chateauroux, projet entrepris par François suite à une discussion lors de laquelle Madeleine disait qu’elle rêverait de travailler dans un dancing. 

Les années vont défiler, les époques aussi, et malgré les inclinations de François, malgré les engueulades et les frustrations qui peuvent souvent aller de pair avec un couple qui dure longtemps, ce drôle de duo – qui s’aime vraiment, à sa propre façon – va rester uni malgré de nouveaux obstacles. 

le temps d'aimer film

L’intrigue débute dans une France d’après-guerre où la bonne vieille morale fait rage, où les femmes sont encore loin de l’émancipation et où l’homosexualité est pénalisée. S’ils viennent de milieux sociaux opposés, Madeleine et François sont chacun à leur façon à la marge, victimes de leurs sentiments et pulsions. La réalisatrice Katell Quillévéré articule cette oeuvre en hommage au genre du mélodrame, et en particulier à Douglas Sirk, l’un des maîtres du genre auquel le titre du métrage fait un clin d’oeil (on pense évidemment à ses grandes oeuvres, Le temps d’aimer et le temps de mourir et Mirage de la vie). Conséquences de la guerre et figure féminine forte victime de la société, des motifs clés de ces mélos, s’accompagnent ici d’éléments plus « modernes » comme le choix de former un couple affranchi des étiquettes. 

S’il parvient à développer une intimité avec son épouse, François semble clairement avoir une préférence pour les hommes et n’est pas très à l’aise sexuellement avec elle. Mais sa tendresse pour Madeleine est infinie et leur amour bien réel et extrêmement fort. Anaïs Demoustier et Vincent Lacoste sont un parfait choix de casting pour incarner cette romance belle, atypique, riche en nuances car ils ont cette candeur assez enfantine en eux, cette douceur et cette sensibilité qui se dégagent toujours dans leur jeu. Ils forment des personnages adorables, qu’on a envie de soutenir, réconforter, enlacer en permanence, souvent bouleversants dans leur fragilité et leurs fêlures. 

le temps d'aimer film

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Au coeur du métrage se déploie une sorte de début de possible ménage à trois avec un très beau soldat noir américain, Jimmy (Morgan Bailey). De quoi donner lieu à l’une des scènes les plus fortes du métrage (où l’on se met à espérer une liaison un peu utopique, un magnifique homme constituant le pont du désir qui manque entre Madeleine et François pour rendre leur union absolument complète). Mais tout ne se passera pas, encore une fois, comme espéré… 

Avec un vrai souffle, une très belle écriture, une mise en scène rétro soignée et une interprétation parfaite, ce long-métrage nous fait traverser le temps et raconte avec brio des liens complexes et profonds. Si le couple de Madeleine et François est au premier plan, Le temps d’aimer parle aussi de l’amour filial à travers l’intense et parfois orageuse relation entre Madeleine et son fils Daniel (à qui elle a longtemps raconté que son père était mort mais qui va s’accrocher toute sa jeune vie à arracher la vérité) mais aussi plus tard entre Jeanne (petite fille issue de l’union entre Madeleine et François) et son père qui va lui transmettre le goût de l’art et en particulier des livres. 

Universel et touchant, le film, doté d’une beauté classique dans le bon sens du terme, sonde joliment l’amour qui parcourt les expériences et résiste à toutes les épreuves, sous ses différentes formes. 

Film présenté au Festival Chéries Chéris 2023 et sorti en salles le 29 novembre 2023 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3