COURTS
Les courts-métrages gays français de la 27ème édition du Festival Chéries Chéris
Comme à chaque édition, le Festival Chéries Chéris est l’occasion de prendre des nouvelles des auteurs émergents du cinéma français à travers de nombreux courts-métrages. Sélection et avis.
THE LIFE UNDERGROUND de Loïc Hobi
On triche un peu déjà car ce réalisateur est suisse 🙂 Loïc Hobi délivre une belle proposition de cinéma avec The Life underground. On y suit Noah (Lucas Faulong), jeune gay pas très assumé et taciturne qui aime en secret son ami bad boy et hétéro Ethan (Arcadi Radeff). Ce dernier tente de l’imposer dans sa bande mais voilà que Noah se retrouve face à une sorte de rite de passage pour le moins tétanisant : il va devoir, comme les autres, sauter par dessus des rails juste avant l’arrivée d’un train.
Interprété avec beaucoup de justesse par de jeunes acteurs aux visages très cinégéniques, le film dispose d’une esthétique très forte qui convoque le grand cinéma classique. La photographie en noir et blanc est sublime et Loïc Hobi se présente d’emblée comme un jeune cinéaste archi prometteur. The Life Underground peut aussi se targuer d’avoir une atmosphère unique, jouant parfaitement sur la tension, les non-dits et les désirs ambigus de ses deux protagonistes principaux. Les désirs réprimés prennent ici des allures de film noir. Ultra cinématographique.
JEUDI, VENDREDI, SAMEDI de Arthur Cahn
Déjà auteur du très beau Herculanum, Arthur Cahn ravit une nouvelle fois avec Jeudi, Vendredi, Samedi. Nous nous retrouvons à la campagne où deux ouvriers, Adémar (Pierre-François Doireau) et Romain (Quentin Fébié) vont pouvoir profiter d’un long week end car leur usine ferme temporairement suite à un incident. Les deux hommes décident de passer les trois jours à venir ensemble.
La mise en scène d’Arthur Cahn est toujours aussi douce et son écriture sensible. Les deux comédiens principaux sont magnifiques de simplicité, très touchant, purs dans ce qu’ils envoient à travers leur jeu. On suit avec émotion leur rapprochement maladroit alors que se dessine au fil des jours une évidente intimité. Difficile de ne pas tomber amoureux de cet ensemble où tout est infiniment juste, authentique et tendre.
TEN TIMES LOVE de Manuel Billi et Benjamin Bodi
Popandfilms avait beaucoup aimé Enter, le précédent court-métrage du duo Manuel Billi et Benjamin Bodi. Ils reviennent ici avec une proposition pour le moins originale. Ten Times Love nous livre 10 fragments d’amour éphémère que vit son personnage principal, le charmant Numa (Brice Michelini).
À l’image d’un moment de la vie où tout est un peu désordonné, les rencontres se mélangent, s’affichent dans le désordre. Bisexuel, Numa s’engage physiquement et sensuellement dans ses rencontres avec les hommes et les femmes qui viennent chez lui. Il leur témoigne de la tendresse, ne manque pas de petites attentions et sait aussi se donner et s’oublier quand certains ont des pratiques plus ferventes. Mais ce garçon bien d’aujourd’hui a un problème : malgré toutes ces rencontres, il n’arrive pas à ressentir la moindre chose. Il a beau tout faire pour, aucune des personnes qui entre et ressort de chez lui ne lui fait véritablement de l’effet. Alors il accumule les rencontres, fait défiler les amants de passage en espérant qu’un jour la rose rouge symbolique et ses pétales qui traîne chez lui soit enfin emblématique de quelque chose de bien réel.
Joliment conceptuel, le court-métrage préfère jouer avec le langage corporel qu’avec les mots, raconte quelque chose de la solitude contemporaine à travers ses silences. Chaque rencontre a été pensée comme un tableau d’opéra. Des chimères d’amour pour un jeune romantique asséché qui continue d’espérer retrouver de grands sentiments et désirs passionnés.
L’ensemble est particulièrement élégant, s’appuyant sur une très belle photographie, sublimant tous ses acteurs et actrices. Tendre, ironique et poétique.
BABTOU FRAGILE de Hakim Mao
Hakim Mao nous entraîne avec Babtou Fragile dans une comédie qui joue de façon drôle et mignonne avec les codes des applications de drague gay.
Mehdi (le très charmant Youssouf Abi Ayad) vit en colocation avec sa meilleure amie Olivie (Daphné Huynh). Ils vivent un peu comme un couple et dorment dans le même lit. Quand Mehdi avoue à sa pote que cela fait 8 mois qu’il na pas eu de relation sexuelle avec un garçon, elle l’encourage à se bouger. Il se connecte alors sur Grindr et tombe sous le charme d’un bel inconnu moustachu, Félix (Pierre Emö). Sérieux et un peu naïf, Mehdi propose une rencontre et un verre quand Félix ne passe pas par quatre chemins et lui envoie une photo de ses fesses en lui disant qu’il est chaud. Le jeune célibataire endurci va se laisser tenter.
La candeur du personnage principal est rafraichissante et drôle (il faut le voir se mettre sur son 31 pour aller faire un plan, il est trop mignon !). Hakim Mao a trouvé le comédien parfait pour jouer le rôle de l’amant très porté sur la chose mais pas bête pour autant en choisissant l’iconique Pierre Emö (vu entre autres dans les films de Noel Alejandro).
S’il évoque l’enfer des caricatures qui sortent de la bouche de certains mecs de Grindr (le personnage de Félix est clairement très formaté par les rencontres express et les films x, demandant qu’on le fesse et l’insulte, aimant l’aspect très direct, regrettant que Mehdi ne porte pas de survet ou ne se comporte pas en lascar parce qu’il est arabe !), le film les détourne de façon hilarante dans sa dernière partie, dévoilant à quel point Mehdi peut être déterminé quand il s’agit de pécho quelqu’un qui lui a tapé dans l’oeil. Un court romantique et mignon sur fond de référence à Citebeur : on aime forcément !
BEAUTIFUL STRANGER de Benjamin Belloir
Romain (Baptiste Carrion-Weiss), start-uper trentenaire stressé, passe une sale soirée : il va rater son train alors que son taxi est pris dans les bouchons et son compagnon le largue au téléphone. Exaspéré, il décide d’aller passer la nuit dans un hôtel. Seul dans sa chambre, il décide de se changer les idées en faisant une rencontre Grindr. Un américain torride débarque dans sa chambre…
Mis en scène avec élégance, campé par un comédien principal plein de charme et de sensibilité qui rend attachant son personnage névrosé et en mal d’amour, Beautiful Stranger s’articule autour d’une trame sentimentale simple mais efficace et y insuffle de petites touches de drôlerie (le personnage secondaire barré de la standardiste) et de fantaisie (l’ensemble baigne dans une atmosphère nocturne délicatement irréelle). Une invitation au lâcher prise et à la légèreté.
DUBLINÉ(E) de Isham Aboulkacim
Ce court-métrage politico-social de Isham Aboulkacim aborde le sujet épineux des dublinés. Dans le jargon administratif français, un.e dubliné.e désigne une personne demandeuse d’asile visée par la procédure Dublin et permettant son expulsion. Il est indiqué au début du court-métrage qu’en France une personne demandeuse d’asile sur quatre est « dublinable » et n’est donc pas autorisée à initier ses démarches sur le territoire national.
Le film suit un rendez-vous entre un jeune agent préfectoral travaillant au guichet unique des demandeurs d’asile de Paris et une ressortissante marocaine qui souhaite une demande d’asile. Hélas, une fois qu’elle a accepté de donner ses empreintes il s’avère qu’elle est une dublinée.
Avec sensibilité, ce court engagé montre la dureté du quotidien des personnes qui font face à la misère désespérante de réfugiés pris dans un système qui est loin d’être humaniste. Cette fiction embrasse le point de vue sensible de Younès, jeune agent préfectoral dont l’impuissance face au système pour lequel il travaille commence sérieusement à le ronger. En arrière-plan, le court évoque aussi le sentiment étrange de son personnage qui a des origines arabes mais qui s’est complètement fondu dans le moule français (il avoue ne pas savoir parler un mot d’arabe) au point parfois d’être un peu largué face à sa propre identité.
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BONUS – 3 nouveaux courts-métrages de Mathieu Morel (Aussi fort que tu peux, La belle et la bête) présentés cette année :
PIECES OF HER : 33 FRAGMENTS DE BRITNEY SPEARS
On le sait tous, la vie de Britney Spears n’est pas de tout repos. Mathieu Morel nous plonge au coeur du chaos avec ce documentaire essentiellement composé d’images volées de la star trouvables sur les réseaux sociaux ou sur les tubes. Des fragments pixelisés, un peu crades, qui nous font parfaitement ressentir l’enfer par lequel l’icône pop gay est passée.
On retrouve ici la touche Mathieu Morel, lui qui aime tant flirter parfois avec les enfers. On n’est pas surpris que Britney Spears le fascine. Entre humour noir et tristesse, un best of des moments les plus emblématiques de ce qui a pu détruire la star. Exploitée dès le plus jeune âge par des parents désireux d’en faire une machine à cash, entraînée comme un robot pour performer, Britney a croisé sur sa route tout un tas de mauvaises personnes qui ont pu contribuer à sa destruction.
Mais ce que le film nous montre avant tout ici c’est l’horreur du quotidien quand on est en permanence encerclé par des paparazzis. Chaque sortie à l’extérieur est un nouveau chemin de croix avec ces flashs agressifs, ces vautours intrusifs qui semblent prêts à vampiriser Britney jusqu’à la dernière goutte. Enfant exploitée, adolescente sur-sexualisée, adulte scrutée comme un phénomène de foire : un freak show glaçant.
RETURN OF THE LIVING SL*TS
Dans cette suite de Night of the living sl*ts, Mathieu Morel suit un Etat face à une pandémie qui pousse les gens à se conduire de façon sexuellement débridée. Le film est jalonné par les interventions d’un animateur de radio pirate et mélange à des chansons de variété des images crues issues de tubes ou filmées par Mathieu Morel. Un trip entre kinky et humour.
CE QU’IL ADVIENT QUAND DE PAUVRES HÉTÉROS POSTENT DES PHOTOS D’EUX SUR L’INTERNET de Mathieu Morel
Ce très court-métrage rigolo montre un jeune gay en dessous féminins se stimuler en parcourant un blog qui partage des photos d’hétéros en look sportswear mises en ligne innocemment sur Internet. En quelque sorte le pire cauchemar de certains de ces lascars : devenir des hommes objets pour queer surexcités.