CINEMA
LES PASSAGERS DE LA NUIT de Mikhaël Hers : fragments doux et mélancoliques
Après Memory Lane et surtout les merveilleux Ce sentiment de l’été et Amanda, Mikhaël Hers nous plonge avec son cinéma délicat et sensible dans les années 1980 avec Les passagers de la nuit. Un film qui comme souvent avec lui fonctionne par petites touches, par des impressions, et qui finit par faire battre tous les coeurs.
Nous suivons Elisabeth (Charlotte Gainsbourg), maman de deux adolescents, Mathias (Quito Rayon Richter) – qui se rêve sans trop oser se l’avouer ou y croire en poète – et Judith (Megan Northam) – sur le point de quitter le cocon familial. Ce cocon familial est par ailleurs bouleversé : l’époux d’Elisabeth est parti avec une autre, la laissant seule avec ses deux enfants à charge. Déprimée, ayant du mal parfois à cacher les émotions qui la submerge, Elisabeth va devoir avancer, faire bifurquer son quotidien pour assurer la survie de sa famille.
Jusqu’alors femme au foyer, la mère fraichement célibataire doit trouver du travail sans avoir d’expérience. Elle tente sa chance en envoyant une lettre pleine de sincérité à l’animatrice radio qu’elle écoute toutes les nuits, Vanda Dorval (Emmanuelle Béart). Cette dernière anime une émission de libre antenne, « Les passagers de la nuit » où des inconnus viennent se raconter dans toute leur vulnérabilité. Touchée par la lettre, Vanda prend à l’essai Elisabeth au standard. Lors d’une émission, une jeune fille qui a l’âge d’être son enfant, Talulah (Noée Abita), livre son témoignage émouvant. Elle n’a pas de famille, personne sur qui vraiment compter, semble perdue. Cette errance trouve un écho chez Elisabeth qui se sent elle aussi au coeur d’une période difficile où elle ne sait plus trop de quoi le lendemain sera fait. Elle propose après l’émission à Talulah de venir dormir chez elle quelques temps, de l’aider à se remettre sur pied.
L’introduction de Talulah dans l’appartement familial est l’occasion d’avoir un regard extérieur sur cette famille éclatée mais où circule beaucoup d’amour et de tendresse. Elle va aussi être déterminante dans l’itinéraire de Mathias, fils d’Elisabeth, qui va peu à peu tomber amoureux d’elle.
L’action prend place dans les années 1980, s’articule sur deux temporalités, deux chapitres. Mikhaël Hers retrouve ici le thème de la perte, de la renaissance après des chamboulements. La trame est moins dramatique que ses deux précédents longs-métrages (où la mort était le bouleversement de départ) mais l’émotion circule toujours autant.
Le réalisateur reconstitue avec soin l’époque des eighties mais ce que l’on retient le plus, qui nous imprègne, c’est sa mise en scène infiniment délicate et mélancolique, un peu fantomatique qui se déploie à nouveau ici. Il n’y a pas un grand thème dans le film mais une infinité de sensations, d’émotions, de fragments, qui peuvent résonner ou bouleverser.
C’est un véritable plaisir de voir le cinéma de Mikhaël Hers accueillir Charlotte Gainsbourg parfaite dans son rôle de femme faillible, dépassée mais qui avance, qui essaie, qui se bat. Rescapée de la maladie, rescapée de l’amour, elle souffre souvent mais elle ne perd jamais sa douceur.
Il émane une forme de solidarité féminine très belle, sous différents angles. Vanda Dorval qui tend la main à une inconnue, Elisabeth qui fait de même avec Talulah.
Il y a la réalité brutale du quotidien (devoir absolument trouver de quoi faire vivre sa famille) qui se mélange à des touches délicatement irréelles et poétiques. Mikhaël Hers parvient aussi à matérialiser quelque chose de la nuit. Le calme, la lenteur, la solitude parfois dure ou curieusement apaisante quand on est la seule personne éveillée très tard. Le charme d’une émission de radio libre antenne nocturne animée par une Emmanuelle Béart magnétique comme elle ne l’avait pas été depuis longtemps. La maison de la radio du Paris de l’époque filmée à des heures où elle est quasi-déserte, la vie dans les rues de la ville plus ou moins en mouvement, plus ou moins en vie.
Noée Abita, jeune femme en pleine errance avec un problème d’addiction et cinéphile à ses heures perdues apporte sa petite touche, à la fois rohmérienne et vénéneuse. Le personnage de Mathias (Quito Rayon Richter, belle révélation) s’en amourache, vivant son premier amour qu’il n’oubliera pas et que l’on devine voué à résonner comme une chanson triste, obsédante, qui mouille les yeux et fait sourire en même temps.
Le cinéaste film des gens fragiles mais fiers, qui trébuchent, qui doutent, qui parlent souvent à coeur ouvert et qui ne perdent jamais malgré les épreuves qu’ils traversent l’espoir et la volonté de se relever, de continuer d’avancer. On est avec eux, constamment sur un fil entre la douleur et la lumière.
Les passagers de la nuit est comme ça, entre deux émotions, deux feux, et rappelle que les fins douloureuses peuvent être aussi l’annonce de beaux débuts et recommencements. Tout cela est amené avec en fond l’amour d’une mère pour ses enfants qui ne vont pas tarder à la quitter mais aussi par extension une forme très palpable d’amour pour les gens.
L’ensemble fait un drôle d’effet avec son atmosphère nocturne, ses passages instrumentaux presque hypnotiques, sa mélancolie enveloppante. On sort du film touché, ému, saisi sans forcément savoir pourquoi ou par quoi. On l’aime sans une raison précise et l’on a envie de marcher dans les rues de Paris la nuit.
Film sorti au cinéma le 4 mai 2022