FICTIONS LGBT
MOMMY de Xavier Dolan : amour et survie
Diane dite « Die » (Anne Dorval), la quarantaine et veuve, voit son quotidien basculer une nouvelle fois quand revient vivre chez elle son fils, Steve (Antoine-Olivier Pilon). Sujet à des troubles du comportement qui peuvent le rendre particulièrement violent, l’adolescent avait été placé dans un centre qui désormais ne veut plus de lui (il vient de provoquer un incendie qui a valu à l’un des autres pensionnaires de manquer de mourir de peu). Ce retour tombe plutôt mal puisque Diane se retrouve dans une phase de précarité en perdant son travail. Pas facile d’en chercher un nouveau puisqu’elle doit s’occuper seule de son grand garçon qui ne peut étudier qu’à domicile.
La cohabitation n’est pas facile, instable, entre vibrantes déclarations d’amour et oppositions féroces voire dangereuses. Le quotidien du duo bascule quand surgit dans leur vie la voisine d’en face, Kyla (Suzanne Clément), ancienne prof de collège « en année sabatique » suite à un mystérieux incident dont elle ne veut pas parler. Entre ces trois personnes débute une sorte de danse, une intimité se passant de mots qui les conduit à affronter les épreuves de la vie, à se faire du bien. Entre moments de joie hors du temps et déconvenues fracassantes, le film raconte leur histoire, leur lien qui se fait et se défait…
Les festivaliers cannois l’attendaient au sommet du Palmarès 2014, c’est finalement avec Le Prix du Jury qu’est reparti Xavier Dolan, jeune cinéaste unique en son genre, qui âgé d’une vingtaine d’années peut déjà se targuer d’avoir une filmographie emballante et fougueuse. Mommy reprend beaucoup des thèmes de son premier long-métrage J’ai tué ma mère en les transposant dans un ailleurs plus tourmenté, en leur offrant une maîtrise déjà très étoffée en seulement quelques années. On retrouve les merveilleuses actrices Anne Dorval et Suzanne Clément, ici plus fortes que jamais, la hantise du pensionnat laisse place à celle du centre pour « mongols », et surtout il y a ce rapport à la mère, un amour fou aussi essentiel qu’envahissant.
Si au fil du temps le réalisateur se fait plus sobre dans ses effets (ce qui ne l’empêche pas d’opter cette fois pour un format carré traduisant l’étouffement, l’effet d’une vie jamais vraiment « pleine » si ce n’est en rêve ou si rarement…), il témoigne toujours d’une inspiration et d’une énergie qui emportent tout sur leur passage. Si elle est universelle, Mommy est aussi une œuvre qui touchera droit au coeur toute une jeune génération, proposant un langage cinématographique moderne, qui se fiche des étiquettes. Les cadres sont sublimes, les couleurs sont pop, la musique une fois de plus utilisée avec habileté pour provoquer de véritables montagnes russes émotionnelles. C’est souvent (très) drôle, plein de vie et en même temps d’une noirceur terrible, d’une infinie tristesse. Fidèle à ses obsessions, Dolan livre en filigrane le portrait bouleversant de trois bras cassés, trois êtres déchirants de vulnérabilité. Ils sont à la fois terriblement ordinaires, évoluent dans une petite banlieue pavillonnaire, et pourtant ils sont ostracisés, chaque jour est un nouveau combat… Malgré le regard des autres, malgré les lois de la société, les drames personnels, les traumatismes, les regrets, les blocages, ils sont là, ils vibrent. De vrais survivants dont l’équilibre est constamment menacé.La caméra leur rend leur dignité, les transforme en héros.
Truffé de scènes puissantes, ce long-métrage au style unique et affirmé, effronté, ne manque ni de générosité ni de subtilité. Le lien étrange, inqualifiable, merveilleux, profond, qui unit la mère, le fils et la voisine prend aux tripes et renvoie à tout un tas de sensations très personnelles, intimes, physiques. La caméra de Xavier Dolan transcende avec une élégance et une passion précieuses l’ordinaire en extraordinaire et inversement. C’est comme si elle parvenait à matérialiser la grâce et le caractère volatile d’un souvenir, d’une joie. Un moment de relâchement où l’on danse dans la cuisine, une photo où l’on pose à un instant où l’on se sent léger, des fous rires communicatifs… Dans un même film, le cinéaste regroupe toute la beauté, la passion, la violence et la tristesse des liens intimes entre désir d’y croire encore, de s’oublier, et rêves anéantis. C’est riche, ça défile à toute vitesse, ça marque.
Film sorti en 2014