CINEMA

mother! de Darren Aronofsky : jusqu’au chaos

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On aimait bien Darren Aronofsky mais on ne s’attendait pas à se prendre une telle claque. « mother! » est une expérience de cinéma intense, puissante, audacieuse et folle. L’oeuvre d’un réalisateur qui va au bout de son propos et de ses obsessions, ne ménageant jamais ni ses personnages ni son spectateur. A peine sorti en salles, le film a suscité des réactions ultra vives et s’est mis à dos (un peu comme « Antichrist » de Lars Von Trier à son époque – un autre « Grand Film Maudit ») une grande partie d’une critique française qui ne sait plus recevoir des longs-métrages qui dérangent et qui sortent des sentiers battus (et qui du coup n’y vont pas de main morte en qualifiant le tout de « vain », « vide », « grossier » ou « prétentieux »). On veut toujours brider et fustiger ceux qui osent…

La vérité est que mother!  ne peut pas plaire à tout le monde. Dans son dernier tiers, le film tranche, nous emmène quelque part où presque aucun réalisateur n’avait osé s’aventurer et ce parti pris divise profondément. Soit on reste bloqué, on se coupe de toute émotion et on ressort du film. Dans ce cas-là l’incompréhension et la détestation peuvent être de mise. Soit on se laisse emporter, on tremble et on s’embarque au coeur des ténèbres pour un moment de cinéma cauchemardesque et hypnotique, inoubliable, vraiment transcendant. Ici on a été retourné par cette proposition, scié par la mise en scène surdouée et l’interprétation incroyable de Jennifer Lawrence.

mother film darren aronofsky

Le film s’ouvre sur une femme amochée qui s’embrase. Un incendie lui vole la vie et détruit une grande maison isolée. Un homme (Javier Bardem) pose une énigmatique pierre précieuse (pierre angulaire?) sur un réceptacle. La pierre efface les débris de la maison et lui redonne vie. S’anime dans un lit une nouvelle jeune femme (Jennifer Lawrence). Elle se réveille et réclame la présence de son compagnon en lançant : « Baby ? ».

Le spectateur la suit dès les premières minutes au plus près (la caméra reste scotchée à son visage), lui donnant l’impression de ne faire qu’un avec elle. mother! se déroule à travers son regard et son ressenti. Au coeur d’une maison immense qu’elle s’évertue à retaper (et dont elle pense que l’intégralité de la rénovation est son oeuvre), la jeune femme cherche désespérément à se reconnecter avec son mari (Javier Bardem) qui se fait de plus en plus distant. Poète, il peine à trouver l’inspiration depuis un moment et se referme complètement sur lui-même. Se sentant abandonnée par celui qu’elle aime, l’héroïne commence à observer d’inquiétants phénomènes dans sa demeure. Les murs vibrent comme s’ils avaient un coeur, le mur du sous-sol vibre de façon flippante. C’est comme si la maison matérialisait sa détresse intérieure.

Les choses se corsent sérieusement quand débarque au beau milieu de la nuit un inconnu. Un médecin qui a confondu la maison du couple avec un Bed & Breakfast. Admirateur des écrits du mari, il flatte son égo et se fait inviter. L’épouse vit la situation, logiquement, comme une intrusion, une barrière de plus entre elle et celui qu’elle aime et qui la délaisse. Ce n’est que le début de l’angoisse : après le médecin, c’est sa femme (Michelle Pfeiffer, démente) qui va débarquer en se permettant une rafale de commentaires désobligeants, puis les enfants du couple exhibitionniste et sans gêne. Chaque nouvelle venue dans la maison rajoute une couche à l’étouffement.

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La première partie de mother ! est une merveille de huis clos étouffant sur l’intrusion et sur la douleur immense d’une femme qui voit l’homme qu’elle aime lui échapper. Il ne prend jamais en considération ses émotions, la laisse tout faire dans la maison, décide tout tout seul, ne se préoccupe que de son propre intérêt. Quand elle ose lui faire part de ses doutes ou de son éventuel mécontentement, il la culpabilise.

C’est la première lecture du film : la douleur, vécue ici viscéralement, d’une femme abandonnée, soumise par amour, qui donne sans retenue sans le moindre retour notable. Un amour dévorant et destructeur qui ne peut que la mener à sa perte, à un stade où elle n’aura plus rien à donner.

La deuxième lecture de mother!, c’est une plongée sombre dans les affres de la Création. Il est l’artiste, elle est la muse et l’inspiration. Il se nourrit d’elle, s’appuie sur elle quand les mots ne se couchent pas sur le papier mais une fois que surgit la reconnaissance il n’en a plus que pour son propre égo. Leur intimité ne semble pas valoir grand chose en comparaison du succès, de l’adoration du public. Leur monde qui se résume à leur demeure peut devenir public : l’artiste est prêt à tout pour jouir de ce qu’il a créé.

La troisième, et plus dense, lecture est religieuse. Il est le « Créateur », elle est la Terre. Il écrit des textes qui bouleversent les gens et qu’il souhaite répandre jusqu’à générer un culte (Ancien et Nouveau Testament). Les personnages d’Ed Harris et Michelle Pfeiffer peuvent être perçus comme Adam et Eve (qui à terme, à force de baigner dans le péché, ne pourront qu’être chassés de la maison dont on cherche à faire un Paradis), leurs enfants sont Abel et Caïn, l’éditrice représente l’Eglise qui engendre parfois des fanatismes. La folie des hommes en transe amène à se déployer guerres et chaos. L’espace d’un instant fugace, la Terre devient une sorte de Vierge Marie (tombant enceinte alors que son mari ne la touche plus) qui donne naissance à un enfant voué à devenir le corps du Christ que l’on se partage.

Enfin, dernière lecture trouvée ici : il est l’Homme, elle est la nature. Il va l’exploiter, la saccager, la pousser dans ses retranchements jusqu’à ce qu’elle prenne sa revanche et fasse tout sauter.

On peut aussi retrouver dans mother! une lecture féministe d’une jeune femme qui n’en finit plus de subir le patriarcat.

Extrêmement dense, captivant d’un point de vue théorique, cette oeuvre incroyable donne à réfléchir mais peut aussi se vivre et se ressentir comme un simple cauchemar qui, sans qu’on comprenne toujours pourquoi, nous bouscule, nous bouleverse. Darren Aronofsky a réussi à donner naissance à une oeuvre terriblement sensorielle, qui appuie constamment là où ça fait mal, se joue de nos peurs et de nos angoisses. On en ressort sonné, épuisé, admiratif. C’est GRAND.

Film sorti en 2017 et disponible en VOD

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3