FICTIONS LGBT
MULHOLLAND DRIVE de David Lynch : du rêve au cauchemar
Considéré comme l’un des plus grands films de son réalisateur David Lynch mais aussi comme l’un des meilleurs des années 2000 voire de toute l’Histoire du cinéma, Mullholand Drive est de ces oeuvres qui obsèdent et hypnotisent à chaque vision. Du rêve au cauchemar, les espoirs et le coeur brisé d’une jeune comédienne à Hollywood.
Hollywood, Mulholland Drive. Une femme brune (Laura Harring) est dans une voiture la conduisant à ce que l’on imagine être une soirée. Mais soudain le chauffeur s’arrête brusquement et la menace avec une arme. Il n’a pas le temps de tirer : une voiture lui rentre dedans. Seule à sortir indemne de l’accident, l’énigmatique brune, touchée au visage, prend la fuite et entreprend d’aller se cacher : elle se sait en danger et bascule dans une certaine paranoïa. Elle se réfugie dans l’appartement d’une dame d’un certain âge qu’elle voit s’absenter pour un voyage.
Dans le même temps, débarque à Hollywood pleine de rêves Betty (Naomi Watts). Elle ambitionne de devenir actrice et n’en revient pas d’être dans la cité des Anges où tout semble possible. Elle va loger dans l’appartement de sa tante, une comédienne partie sur un tournage. Il se trouve que l’appartement est celui où se cache la brune en fuite.
Pensant d’abord que cette femme qui est chez sa tante est une amie de cette dernière, Betty comprend que celle qui se fait appeler Rita (en référence à Rita Hayworth dans le film Gilda dont elle a vu l’affiche dans l’appartement) est une parfaite étrangère. Cette dernière lui confesse avoir perdu la mémoire, ne se souvenant même pas de son prénom. Bien qu’il soit évident que Rita s’apparente à une sacrée source de problèmes, Betty se prend instantanément d’affection pour elle et décide de l’aider à résoudre le mystère de cette étrange nuit où elle a perdu la mémoire.
Les jours passent et les deux femmes deviennent de plus en plus proches tout en menant leur enquête, comprenant que quelque chose de grave est probablement arrivé : le danger semble roder partout. Parallèlement à cette enquête personnelle dans laquelle se jette Betty avec une incroyable générosité, cette dernière commence à passer des castings. Suite à une audition particulièrement réussie avec un réalisateur qui hélas semble has been, on l’amène sur le plateau d’un autre film où ont lieu des auditions pour le rôle principal. Le réalisateur (Justin Théroux) semble ensorcelé dès qu’il pose son regard sur elle. Mais Betty doit filer pour retrouver Rita et ce qu’elle ignore c’est que le cinéaste est la cible d’un énigmatique chantage le forçant à faire passer de fausses auditions pour finalement donner le rôle majeur de son film à une certaine Camilla Rhodes.
Alors qu’au coeur de la nuit Betty et sa nouvelle amie semblent se rapprocher de la clé de l’énigme et déceler l’itinéraire de Rita, subitement tout bascule alors que dans son sommeil cette dernière, comme en transe, invoque un mystérieux club : le Silencio…
C’est un film qu’on prend énormément de plaisir à revoir plusieurs fois. La première vision est un choc quand on n’a rien lu sur le film car on se sent perdu, ayant l’impression de déambuler dans un thriller à la fois haletant et onirique. Il y a constamment des indices indiquant que quelque chose cloche, des digressions qu’on ne saisit pas forcément, des personnages dont on se demande ce qu’ils font là et qui ils sont mais l’intrigue se suit pourtant comme celle d’un thriller ordinaire. C’est là le tour de force de David Lynch : faire croire que l’on suit une oeuvre linéaire, « traditionnelle », avant de tout retourner lors des 30 dernières minutes. On en ressort sonné, plein de questions et pourtant satisfait car tout ici déborde de cinéma. Les acteurs, tous parfaitement versatiles, la bande-originale qui instaure une atmosphère singulière, grave et puissante, la mise en scène qui déploie tout un tas de plans iconiques et autant de clins d’oeil à de grands films des années 1940 et 1950.
Pour beaucoup, la ou les visions suivantes permettent de plonger davantage en profondeur dans les thématiques abordées. Le regard plus à l’affut, conscient de la mécanique du métrage, on finit par remettre les pièces du puzzle dans l’ordre. Et là où la première vision fait plutôt l’effet d’un thriller dérangeant au suspense redoutable, la seconde se révèle nettement plus dense et émouvante, portrait tragique d’une actrice qui a vu tous ses rêves se briser (professionnels autant que sentimentaux).
Oeuvre miroir, Mullholand Drive s’amuse à opposer le rêve à la réalité qui elle même se révèle avoir un parfum de cauchemar. Et comme le cinéma s’inspire du réel mais de façon truquée, les rêves peuvent nous donner cette impression qu’on les vit alors qu’il ne s’agit qu’une mise en scène de l’inconscient.
En opposition à une iconique Laura Harring (qui apporte au film ses envolées les plus étranges et torrides teintées d’un délicat fétichisme), Naomi Watts explose et trouve un des rôles les plus marquants de sa carrière dans la peau d’une Betty qui hélas n’existe que dans sa tête. Le personnage se refait le film de sa propre vie, de façon romancée et idéalisée. Une dernière fuite avant le silence éternel.
Avec une très belle abstraction, David Lynch fait ressentir le côté à la fois magnétique et poisseux d’Hollywood, le désespoir de ceux qui sont venus là des étoiles dans les yeux et qui se font briser par un système impitoyable et cynique. On peut si vite emprunter la mauvaise route et voir ses rêves naïfs de carrière et d’amour déraper…
Enfin, en plus de son mystère et son étrange poésie, l’oeuvre marque par son lyrisme, son romantisme, ses envolées subtilement érotiques. Le couple pur et idéalisé de Betty / Rita d’un côté, celui destructeur de Diane / Camilla de l’autre et en arrière-plan un Justin Théroux au charme aussi discret que redoutable. Bref : à voir et revoir !
Film sorti en 2001 et disponible en DVD