FICTIONS LGBT
NO ONE SLEEPS de Jochen Hick : mensonges, parano, danger
Stefan (Tom Wlaschiha), jeune allemand, débarque à San Francisco pour un séminaire d’été et aussi et surtout pour poursuivre une enquête que son défunt père avait commencé. Stefan remet en effet en cause les origines du Sida. Il est de plus en plus persuadé que l’origine du virus ne remonte pas aux singes d’Afrique mais plutôt à une expérience effectuée par le Pentagone. Des prisonniers du Maryland auraient servis de cobayes et auraient été relâchés pour leur participation. Ce que les scientifiques ignoraient, c’est que le virus n’allait se déclarer que des années plus tard.
L’arrivée de Stefan aux Etats-Unis coincide avec une série de meurtres. Des hommes, tous gays et séropositifs, sont retrouvés morts. Il se trouve que ces hommes faisaient partie des potentiels prisonniers cobayes que Stefan comptait interviewer. Le gouvernement chercherait-il à étouffer cette sordide affaire ? Bien qu’il comprenne assez vite qu’il prend le risque de se plonger dans une conspiration qui pourrait lui coûter la vie, Stefan ne peut s’empêcher de continuer à fouiner et de chercher la vérité.
Il croise rapidement le chemin d’une détective enquêtant sur les meurtres récemment survenus, Louise Tolliver (Irit Levi). Dans une atmosphère anxiogène, Stefan poursuit son investigation allant d’Eglise en lieux de cruising. Il fait la connaissance d’un énigmatique et très sexy brun n’acceptant pas totalement son homosexualité : Jeffrey Russo (Jim Thalman). Si ce dernier refuse de l’embrasser, cela ne les empêche pas d’entamer une liaison particulièrement torride. Petit à petit, Stefan réalise que Jeffrey pourrait être lié aux meurtres…
Dès les premières minutes, on comprend qu’on s’est embarqués dans un film étrange, pas comme les autres. On n’a jamais vue la ville de San Francisco filmée de façon aussi austère, terne, apparaissant comme une sorte de cimetière géant où le danger est partout. Le réalisateur Jochen Hick (ici également scénariste et producteur) nous entraine dans une intrigue complexe sur fond de complot et de Sida et le côté légèrement paranoïaque de Stefan ne met pas longtemps à déteindre sur nous. Plus il avance dans son investigation, plus il est persuadé que les vraies origines du Sida ont été cachées. Mais à trop penser en savoir, il se met en danger.
On pense instantanément à Cruising de William Friedkin : un sérial killer qui tue des gays, des passages dans des boîtes hot underground, la récurrence d’une petite musique (en l’occurrence ici celle de l’opéra Turandot de Puccini)… Mais No one sleeps a bel et bien son propre ton, son propre univers et s’amuse à nous égarer, nous surprendre. Stefan est ainsi un drôle de personnage principal, auquel on s’identifie mais qui la plupart du temps nous échappe. En témoigne son obsession naissante pour Jeffrey, qu’on identifie en tant que spectateur directement comme le premier suspect potentiel de tous les homicides du coin. Les passages entre Stefan et Jeffrey sont très chargés en tension sexuelle. Les deux acteurs y mettent du cœur et les scènes intimes sont tout simplement explosives retranscrivant assez bien la personnalité de Stefan. Dans son enquête comme dans sa sexualité, il aime se mettre en danger, flirter avec les interdits.
Jochen Hick nous offre une aventure désenchantée, aux enjeux changeants. Finalement on comprend vite où l’enquête de Stefan va le mener, la nouvelle question sera de savoir jusqu’où il continuera à se perdre, à se laisser dériver, consumer. Les références à l’opéra Turandot s’accumulent et la clé de l’intrigue se trouve dans le déroulé de cette œuvre tragique.
Scénario intelligent et audacieux, rythme étrange (entre tension et lenteur déroutante évoquant une gueule de bois) , atmosphère unique (un côté thriller réaliste mêlé à des scènes de passion destructrice et autres passages épicés et borderline – avec virée dans des boîtes sordides où des mecs tentent de refiler le VIH à leurs partenaires plus ou moins volontaires), personnages tous fascinants et attachants (Jim Thalman est un personnage secondaire dont la noirceur et la sensibilité n’ont d’égales que son sex appeal / Irit Levi avec sa voix incomparable et son côté à la fois cynique et maternelle compose une détective pour le moins originale) : No one sleeps lorgne aussi bien du côté du thriller politique / parano que de la tragédie, le tout avec brio. Un film sombre et intense qui mérite amplement le coup d’œil.
Film produit en 2000 et disponible en DVD