FICTIONS LGBT
NUIT NOIRE EN ANATOLIE de Özcan Alper : violence et silence
Film franco-turc, Nuit noire en Anatolie nous plonge progressivement en plein cauchemar dans un village d’Anatolie où un secret dévastateur va rouvrir les plaies du passé. Amateurs de thriller noir, ne pas s’abstenir !
Le film s’ouvre sur une scène en plein jour, glaçante, où l’on voit un groupe d’hommes hurlant comme des barbares. On devine que quelque chose de terrible se trame. Puis une scène nocturne nous présente deux des personnages principaux : Ishak (Berkay Ates) venant rendre visite en pleine nuit avec un air grave à son ami Ali (Cem Yigit Uzümoglu). On apprend plus tard que ce qui est montré (et qui reste énigmatique même si l’on devine assez bien la tragédie qui se joue) date d’il y a 7 ans. Nous faisant un saut dans le temps et retrouvons Ishak, menant une existence solitaire de musicien en ville. Voilà qu’un jour il n’a pas d’autre choix que de rentrer dans son ancien village car sa mère est mourante.
Ce retour au bercail n’est ni bien vécu par Ishak qui avait fui cette terre toxique ni pour les habitants qui en le revoyant se retrouvent confrontés à des souvenirs sombres et enfouis. Alors que sa mère décède, Ishak ne parvient pas à retourner directement en ville. Il est toujours hanté par ce qui s’est passé 7 années plus tôt et revenir sur « les lieux du crime » le pousse à vouloir faire justice, travail de mémoire, aller au bout pour clôturer au moins symboliquement ce chapitre infâme et douloureux de sa vie.
Présent et passé finissent par s’entremêler au montage et nous découvrons par petites touches comment Ishak a fini par se retrouver face à l’inacceptable. Tout a basculé le jour où dans ce village peuplé d’hommes machos et rustres a débarqué Ali. Un jeune homme vif, souriant, cultivé, indépendant, d’emblée regardé de travers car perçu comme un original. Petit à petit, Ali a compris que les choses allaient être compliquées avec les habitants du coin, faisant leur propre loi et réglant les conflits par les menaces et la terreur. Entre la pression exercée par les villageois qui ne supportent pas le côté propret et éduqué de ce citadin et les avances de Sultan, une fille des environs, Ali s’est senti surmené, épié, au point de vouloir déménager plus loin, dans les hauteurs, pour être coupé des autres. Son seul ami était Ishak, le seul homme tendre, humain, et artiste sur les bords. Un très succinct rapprochement lors d’une après-midi de baignade aura suffi pour semer le chaos…
Rappelant par moments l’excellent thriller Burning Days, Nuit noire en Anatolie déploie avec une lenteur venimeuse son cauchemardesque canevas. Plus on avance dans l’intrigue, en ayant pourtant une idée assez claire sur le crime qui a été commis, plus on a l’impression d’être pris dans une spirale infernale. La bêtise et la barbarie la plus crasse envahissent petit à petit le champ alors que quelques humains sensibles en peine essaie de faire le deuil du pauvre Ali et de surmonter leur vertige après que l’irréparable ait été commis.
Les beaux paysages d’Anatolie contrastent avec la noirceur de l’âme des villageois qui ne veulent pas voir en face l’atrocité de leurs actes et qui se révèleront prêts à tout pour sauver leur peau. C’est un film qui joue beaucoup sur les silences et à juste titre car le silence est un des sujets principaux de cette oeuvre « tranquillement terrifiante » : le silence par lequel on insinue des choses qui peuvent se révéler dévastatrice, le silence sur ce que l’on est vraiment au fond de soi car on ne peut pas dire ouvertement qui l’on est, le silence qui cache et invisible, le silence qui va avec la mort…
Le rythme de l’ensemble a quelque chose d’hypnotique, comme une fuite en avant vers un précipice qu’on ne peut pas contrôler. Le réalisateur déploie ainsi une sorte de « suspense lent » très efficace tout en s’appuyant sur des performances d’acteurs puissantes.
Jusqu’à un dernier acte particulièrement effroyable, ce long-métrage tendu et hanté porte définitivement bien son titre, propageant une force noire qui donne constamment froid dans le dos.
Film produit en 2022, présenté au Festival Chéries Chéris 2023 / Sortie en salles le 24 janvier 2024