FICTIONS LGBT
NUOVO OLIMPO de Ferzan Özpetek : romance gay obsédante
Habitué des films à thématique gay, le réalisateur Ferzan Özpetek (qui a entre autres signé auparavant des films comme Le premier qui l’a dit ou Pour Toujours) délivre avec Nuovo Olimpo une de ses plus belles oeuvres (si ce n’est la plus belle). Une romance gay très émouvante étalée sur plusieurs décennies.
Rome, années 1970. Enea (Damiano Gavino), étudiant en cinéma, travaille sur des tournages de films et se rêve en réalisateur. Dès qu’il a du temps, il se rend au cinéma Nuovo Olimpo où sont programmés chaque jour des films classiques. L’endroit est aussi connu pour son couloir où plus ou moins discrètement des homosexuels se retrouvent pour fumer, se draguer et en général finir aux toilettes. La caissière du lieu, la charismatique Titti (Luisa Ranieri), connait le manège et s’en amuse.
Un jour, installé dans la salle de cinéma, Enea croise le regard d’un beau mec de son âge, étudiant en médecine, Pietro (Andrea Di Luigi). Ils avaient déjà furtivement croisés leurs regards plus tôt au moment d’un tournage de film que Pietro scrutait au loin. Enea est happé par le charme de cet inconnu et lui fait comprendre qu’il va l’attendre dans le couloir. Pietro le suit mais visiblement c’est la première fois qu’il se rend à cet endroit et il n’a pas d’expérience avec les hommes. Il n’est pas à l’aise d’aller faire des choses dans les toilettes, il est plus fleur bleue et préfère fuir en donnant rendez-vous à Enea le lendemain. Enea vient au rendez-vous et le coup de foudre est palpable.
Une passion magnifique, intense et charnelle nait entre les deux étudiants. Mais voilà qu’un jour, alors qu’ils doivent se retrouver, une manifestation violente éclate. Pietro est blessé et n’honore pas le rendez-vous. Il mettra un moment à guérir de son accident et quand il reviendra au cinéma Nuovo Olimpo, Enea ne le fréquentera plus. Ils n’avaient pas échangé leurs numéros et vont se perdre de vue.
Le film avance ensuite à la fin des années 1980 (sans parler des années Sida). On découvre qu’Enea est devenu un réalisateur à succès et qu’il a fait un film sur son histoire avec Pietro. Ce dernier n’est plus à Rome et s’est construit une nouvelle vie avec une femme, Giulia (Greta Scarano). Les deux anciens amants pensent encore fortement l’un à l’autre et aimeraient se retrouver. Mais cela n’arrive pas. Lors d’une fête, Enea rencontre un grand gars très sexy, Antonio (Alvise Rigo). Il est très différent de lui et ils vont se compléter et former un couple solide.
Un nouveau saut dans le temps nous montrera l’évolution des personnages alors qu’ils auront la cinquantaine. Les chemins d’Enea et Pietro pourront-ils se recroiser ?
Dès les premières scènes, la magie du cinéma opère. Rarement Ferzan Özpetek aura signé une mise en scène aussi forte matérialisant complètement la force et la beauté des sentiments. La rencontre entre Enea et Pietro est sublime. Elle sonne de suite comme une obsession, comme quelque chose de trop beau pour être vrai et durer. On se met vite à redouter que quelque chose survienne, troublant cette passion merveilleuse et parfaite et c’est hélas bien ce qu’il va se passer.
Le cinéaste signe ici une oeuvre très émouvante, touchante, sur le temps qui passe et à quel point le souvenir d’un amour raté ou perdu peut nous obséder toute notre vie durant (revient plusieurs fois la citation « Pour que ni le temps ni l’espace ne nous sépare », promesse se faisant de plus en plus déchirante au fil du métrage). C’est évidemment d’autant plus le cas pour quelqu’un comme Enea qui est réalisateur et passionné de cinéma, qui ne peut s’empêcher de réécrire l’histoire dans sa tête. Pietro, devenu médecin, a en quelque sorte essayé de soigner son coeur brisé (contrairement à Enea qui avait vite baissé les bras après leur rendez-vous manqué – on apprend plus tard que lui a essayé à de nombreuses reprises de le retrouver) mais alors qu’il découvre le film qu’a fait celui qu’il a tant aimé, la plaie s’ouvre à nouveau et ne pourra visiblement jamais complètement se refermer.
« Plus le passé est lointain, plus il semble beau » peut-on entendre au détour d’une réplique et c’est complètement le sujet de Nuovo Olimpo. L’absence, la disparition, le manque, le destin, sont des motifs qui reviennent souvent dans le cinéma de Ferzan Özpetek et c’est ici le cas de façon subtile et très romantique. Enea et Pietro sont animés par une immense nostalgie même si chacun a réussi à construire exactement la vie qu’il voulait et partage son quotidien avec un partenaire aimant. Si le couple de Pietro semble plus fragile et s’apparente fortement à une union de raison (qui fait souffrir la compagne de Pietro mais que celui-ci valorise car il est un homme très fidèle et droit), celui basé sur les différences et la complémentarité entre Enea et Antonio est définitivement soudé, amour réel du quotidien loin des fantasmes post-adolescents auxquels on peut continuer à s’accrocher.
Tout ici est réuni pour donner lieu à un film notable et une histoire d’amour qui restera dans les mémoires : une mise en scène qui par moments convoque le cinéma d’Almodóvar, un romantisme aussi universel que foudroyant, un amour du cinéma palpable à tous les plans, des acteurs beaux qui livrent de formidables interprétations à tous les niveaux (le duo principal est évidemment superbe mais les personnages secondaires sont très forts aussi : Antonio, Giulia, Titti, le personnage de la meilleure amie ou même celui fugace de Molotov incarné par Giancarle Commare – vu et aimé dans la géniale comédie romantique gay Mascarpone).
Il y a quelque chose ici qui hante, un parfum de paradis perdu bouleversant, qui donne l’impression de parcourir la vie, sa vie, avec ses réussites, ses échecs, ses doutes, ses amours concrets ou qui nous ont échappés et aussi – car cela est très présent tout le long de cette oeuvre ô combien attachante – toutes les personnes que l’on croise et qui nous construisent et nous font nous sentir vivant (le lien « irrégulier » entre Enea et Titti est notamment très fort et très beau et délicatement Nuovo Olimpo dresse aussi un très bel éloge de l’amitié). L’amour, le vrai, sous toutes ses formes, est de chaque plan et on le dit : voilà là un grand et beau film à ne surtout pas rater.
Film produit en 2023 et disponible sur Netflix