CINEMA

PAPICHA de Mounia Meddour : rêver, toujours

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Présenté dans la section Un certain regard du Festival de Cannes 2019, Papicha est une belle surprise entre fragments de libertés et chocs violents. Intense.

Alger, années 1990. Nedjma (Lyna Khoudri), 18 ans, entend vivre en femme libre. Etudiante dans une cité universitaire, elle rêve de devenir créatrice de mode et passe la majeure partie de son temps libre à dessiner et confectionner des robes. Elle les vend dans les toilettes d’une boite de nuit de la ville où elle se rend avec l’une de ses deux camarades de chambre et meilleure amie, Wassila (Shirine Boutella). L’occasion pour les filles de profiter aussi de la vie nocturne. Insouciantes, elles sont pourtant souvent régulièrement rattrapées par la réalité de leur pays où les choses se dégradent progressivement. Des affiches scandant que le port du  hijab doit devenir obligatoire se multiplient sur les murs de la ville, des barrages se déploient un peu partout, aux infos on n’en finit plus de parler d’attaques et d’attentats.

Nedjma est consciente que sa liberté, elle doit l’arracher. Quand elle veut sortir le soir, elle ne peut le faire qu’en soudoyant le gardien de la cité universitaire et en se faufilant à travers des grillages. Au moindre contrôle, elle met son hijab et cache son maquillage. Et quand elle croise des garçons elle ne mentionne pas forcément qu’elle est à la cité universitaire car les filles étudiantes ont mauvaise réputation. Tout est loin d’être rose mais la jeune femme est profondément attachée à sa terre natale et refuse d’envisager de la quitter. Elle refuse de se dire qu’elle ne peut pas être une femme libre dans ce pays qu’elle aime. Parfois jusqu’à l’inconscience. L’espace de quelques mois, l’horizon va réellement s’obscurcir autour d’elle et de ses amies. Son amie Wassila s’amourache d’un garçon aux opinions qui flirtent avec les extrêmes, son autre camarade de chambre Samira (Amira Hilda Douaouda) se retrouve enceinte mais pas du garçon avec qui on veut la forcer à se marier… Nedjma, elle, se laisse approcher par un bel architecte de son âge, Mehdi (Yasin Houicha).

Alors qu’auparavant s’opposaient aux instants de légèreté et de liberté de petites menaces, ces dernières vont gagner du terrain, poussant les jeunes filles à se brider. En salle de classe surgissent des femmes extrémistes qui laissent entendre qu’il n’y a plus d’autre choix que de porter le hijab désormais. On entend le même genre de propos dans les bus et il est insinué fortement que celles qui ne rentreraient pas dans le rang pourraient devenir des cibles. Nedjma refuse d’abdiquer et décide de son côté d’organiser un défilé de mode avec ses amies au sein de la cité universitaire…

papicha film

Revenant sur la période sombre de la guerre civile en Algérie dans les années 1990, Papicha réussit à la fois à dresser un portrait frontal d’un pays où les libertés des femmes en particulier sont menacées tout en explorant la soif de vivre d’un groupe de filles. Engagée, féministe, l’oeuvre est aussi et surtout un très beau divertissement très bien exécuté, sans temps mort, rendant le film accessible à un large public. Et c’est une très bonne chose car il amène à se poser beaucoup de questions à travers son héroïne qui ne lâche rien, magnifiquement incarnée par Lyna Khoudri. Mounia Meddour filme une jeunesse et une féminité qui refusent de se laisser bafouer quitte à jouer avec le feu. Le point particulièrement intéressant du métrage est l’envie tenace de son personnage principal de rester et de se battre là où la majorité des personnes ne rêvent que de s’enfuir. L’amour de Nedjma pour son pays, qui peut parfois paraître irraisonné, a quelque chose de vraiment vibrant. Cela la pose en véritable combattante, refusant la facilité, choisissant au risque de sa vie de faire face aux forces obscures, de tenir tête pour défendre cette terre qu’elle aime et qu’elle ne veut pas laisser aux mains de ceux qui utilisent la religion de travers pour faire régner la terreur.

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Le long-métrage réussit à retranscrire l’ambivalence, la double face de cette ville d’Alger tant aimée, si belle et en même temps envahie de plus en plus par des êtres malveillants qui transforment le quotidien en cauchemar. Si l’ensemble est si haletant et tendu c’est qu’on finit par comprendre qu’à tout moment la sécurité n’est plus qu’un leurre et que tout peut déraper. Les règles changent et se durcissent du jour au lendemain, les attaques se multiplient de tous les côtés. Par des mots, des actes, des violences, des menaces.

La mise en scène est sensorielle (pas mal de caméra épaule), fluide, nous place au plus près de ses jeunes héroïnes de plus en plus gagnées par le doute et la peur mais ne se laissant pas voler leurs rêves et leur liberté pour autant.

C’est marquant, par moments on trouve un écho avec la série « The Handmaid’s Tale » (cette façon d’introduire les figures « maléfiques » et toxiques par une musique très sombre), ça appuie là où ça fait mal mais en même temps il y a toujours dans Papicha cette lumière, ce sourire d’une jeune femme qui après les chocs et les pleurs décide de continuer à vivre et de rêver. Avec sa bande de jeunes comédiennes irrésistibles et touchantes, ce film s’avère aussi fort que vibrant. Pépite. 

Film sorti le 9 octobre 2019

 

Blog rédigé en solo par Gaspard Granaud. Avec la précieuse aide de Pierre pour la période avril-mai 2022, merci <3