FICTIONS LGBT
STRAIGHT UP de James Sweeney : drôle de couple
Premier long-métrage de l’américain James Sweeney (qui campe également ici le premier rôle), Straight up est une délicieuse révélation et l’une des meilleures comédies / comédies romantiques sorties depuis une dizaine d’années. Un film complètement hilarant, brillant et attachant.
Todd (James Sweeney) est un jeune gay complètement névrosé, bourré de tocs, d’angoisses et autres phobies. Entre autres choses, il est profondément dégoûté par les fluides corporels, ce qui lui vaut d’avoir une vie sexuelle proche du néant. Au fil de ses séances chez sa psy (Tracie Thoms), il commence à remettre en question son identité sexuelle. Et s’il n’était pas si gay qu’il le pensait ? Depuis son enfance, parce qu’il est précieux et un peu efféminé, tout le monde le pense homo et lui-même s’en est convaincu. Mais aujourd’hui il ne sait plus du tout où il en est.
Alors qu’il rencontre dans une bibliothèque Rory (Katie Findlay), une jeune aspirante comédienne qui est presque aussi névrosée que lui et qui partage ses références et la plupart de ses idées sur l’existence, c’est le coup de foudre. Du jour au lendemain, ils ne se quittent plus, se régalant de leurs ping pong verbaux, regardant quasiment toujours dans la même direction. Deux âmes soeurs. Cependant, malgré l’évidence de leur connexion, leur relation suscite autour d’eux la perplexité. Les meilleurs amis de Todd, Meg (Dana Drori) et surtout Ryder (James Scully), ont du mal à le percevoir comme bisexuel. Ils vont le pousser lui et Rory dans leurs retranchements et les amener à se poser de nombreuses questions. Car s’’ils n’ont aucun doute sur leurs sentiments, Todd et Rory n’arrivent pas vraiment à coucher ensemble depuis le début de leur romance. Cette « anomalie » va venir troubler la force pourtant rare du lien qui les unit.
Pouvant évoquer un mélange étrange mais ô combien séduisant entre Search Party (pour l’aspect absurde), The Outs (pour l’écriture aussi brillante, drôle que vive) et Les lois de l’attraction (pour son montage pop), le tout saupoudré de références au cinéma culte dramatique et romantique des années 1950, Straight up est un réjouissant ovni cinématographique qui impose son réalisateur-auteur-comédien comme une fracassante révélation. L’interprétation, l’écriture, l’humour, l’émotion, l’intrigue, la mise en scène, la bande-originale : tout est juste parfait et rondement mené ! Un sans faute qui force l’admiration. Le haut débit des échanges entre son couple improbable et irrésistible pourra peut-être en fatiguer quelques-uns mais pour ceux qui sont fans des comédies « smart » ce long-métrage au charme indépendant est un régal de chaque seconde.
On rit énormément, le film s’appuyant sur tout un tas de références pop culture et jouant à la perfection avec l’absurde et le comique de situation. La plume de James Sweeney est redoutable et inventive, l’auteur a un sens du rythme et de la réplique impressionnants. Mais surtout, Straight up réussit l’exploit d’être à la fois une comédie tordante et imprévisible autant qu’une comédie romantique très attachante et par moments franchement émouvante. Très moderne, à mille lieux des caricatures habituelles qui sont souvent légion dans les romcoms, le film sort des sentiers battus et raconte une histoire d’amour unique qui dynamite toutes les étiquettes.
Qu’est vraiment Todd : gay ? bi ? sapiosexuel ? asexuel ? Un peu tout ça ou rien de tout ça ? Avec beaucoup d’intelligence et une vraie forme de courage, James Sweeney se moque de façon jouissive de toutes ces assignations. Todd ne sait pas ce qu’il est même s’il aimerait bien le découvrir et va passer tout le film à essayer de composer avec. Il trouve en Rory la partenaire parfaite car comme lui elle est justement complètement imparfaite et socialement décalée. Il y a quelque chose de très touchant, bouleversant même parfois, dans leur relation incomprise, à part, car simplement hors des cases que la société voudrait imposer.
C’est un sujet dense, passionnant et peu traité au cinéma que celui du couple passionné mais sans la sexualité qui va forcément avec. Pour la majorité, on ne forme pas un couple si on ne couche pas ensemble. Et si c’était finalement possible d’être fou amoureux de quelqu’un, de trouver son âme soeur sans forcément ressentir de désir sexuel pour cette personne ? Le film est à la fois porté par l’élan de se ficher de la prétendue norme mais montre aussi beaucoup à quel point cette norme, le regard des autres et celui que l’on s’impose aussi sur soi-même peut être un frein et un fardeau. Todd et Rory vont finir par réellement questionner la viabilité de leur relation. Car au-delà de la pression sociale et de celle qu’ils se mettent sur eux, ils sont à un âge où ils se cherchent encore. Rory se demande logiquement si elle ne pourrait pas être plus heureuse avec un garçon qui la stimule sexuellement (tout en ne sachant pas vraiment si elle est asexuelle ou non). Todd doute sur le fait qu’il a pu être vaguement attiré par le passé par des garçons et que ces derniers pourraient encore continuer de le troubler.
Le cheminement des deux personnages principaux, leur relation absolument unique, leur vulnérabilité, emportent tout sur leur passage. Straight Up nous rappelle en quelque sorte que le couple reste à réinventer et que chaque relation est unique. Rares sont les films qui peuvent se targuer d’être à la fois si profond, beau à regarder, hilarant et touchant. Instantanément culte.
Film produit en 2020 et présenté lors de la 27ème édition du Festival Chéries Chéris