FICTIONS LGBT
SWOON de Tom Kalin : emprise et crime imparfait
Dès son ouverture, avec la lecture d’un passage de La vénus à la fourrure de Sacher-Masoch, Swoon pose les jalons d’un univers fantasmé, hors temps. Magnifique noir et blanc, une femme noire, de beaux garçons qu’on jurerait sortis d’un magazine de mode, et Richard Loeb (Daniel Schlachet). Ils récitent le texte, évoquant la soumission, avec un air plus ou moins enjoué. Puis Nathan Leopold Junior (Craig Chester) arrive et vient chercher Richard. Les deux jeunes hommes partagent une relation ambiguë faite d’amitié, de passions communes, d’attirance et de rejet. Richard se plait à jouer au chaud et au froid tandis que Nathan fantasme en l’imaginant comme son esclave sexuel…
Ces deux hommes, qui ont bel et bien existé, dans les années 1920 à Chicago, ont incarné le cauchemar de l’Amérique puritaine. Et pour cause : excités à l’idée de commettre le crime parfait, Nathan et Richard ont fini par kidnapper et assassiner un jeune adolescent. Mais de la théorie à l’acte, il y a un monde et, ayant laissé trop d’indices derrière eux, ils ont fini par se faire prendre.
Le traitement de cette histoire macabre est très étonnant. Swoon est une œuvre plastiquement magnifique, poétique, sensuelle. Le meurtre est survolé : ce qui intéresse le réalisateur Tom Kalin, c’est la relation intense et tordue qu’entretiennent les deux criminels. Tous deux juifs, issus de familles aisées, ils s’évadent en lisant Nietzsche et en jouant les bandits. La citation de La vénus à la fourrure n’est bien entendu pas là par hasard car ils entretiennent des rapports de force. Qui contrôle vraiment l’autre, qui pousse au crime ? Un peu plus âgé, Nathan est en apparence celui qui tient les ficelles. Mais très vite on comprend que c’est le bimbo boy Richard qui le manipule, qui a une véritable emprise sur lui.
Tout le déroulement de l’intrigue paraît surréaliste : il est question de meurtre, d’un procès terrible (qui se saisit du crime pour condamner l’homosexualité, l’intellectualisme et le judaïsme) mais la musique est douce, les deux hommes destinés à être condamnés continuent de faire les enfants se dénonçant l’un et l’autre. Ce côté « à côté de la plaque », du réel, colle finalement très bien aux profils de ces « Bonnie & Clyde gays » qui apparaissent comme étrangers aux lois du monde, dénués de morale, et la plupart du temps d’affect. Sexe, mort, manipulations : tout n’est ici que pulsion. Swoon fait l’effet d’une brûlure légère mais grandissante, au charme vénéneux, qui sans qu’on arrive à percevoir exactement pourquoi se grave dans notre mémoire. Un moment de cinéma pour le moins troublant et fascinant.
Film sorti en 1992 et disponible en DVD